"Former et sélectionner dans un même lieu c’est empêcher d’instruire et apprendre.
Libérons l’école et la société de ce brouillage, de ce tri, de la sélection". C’est une conviction que je partage avec l’Education nouvelle.
Mais il y a une différence entre repérer et sélectionner. Repérer les qualités, les ressources : rien à voir avec sélectionner ?
• "Choisir le meilleur candidat" n’est en rien contradictoire avec notre conviction du "tous capables".
• Ce que j’appelle le repérage des compétences n’a rien à voir avec la sélection des compétence, même si les deux concepts semblent proches et sont très souvent confondus.
J’ai dirigé une équipe psycho-médico-sociale d’intervenants d’une dizaine de personnes (huit équivalents temps-pleins). A ce titre, il nous est arrivé souvent de recevoir des candidats à un emploi chez nous. Nous avions pris (installé) l’habitude de recevoir les candidats en équipe, et de décider collectivement de l’engagement de nos nouveaux collègues, profitant d’un "Pouvoir organisateur" éclairé qui nous faisait confiance et ratifiait nos propositions pour engager le personnel.
Nous avions donc à "choisir les meilleurs". Nous avions des critères explicites et implicites. Il y avait des critères partagés par toute l’équipe, et aussi de choix plus personnels en fonction de chacun, subjectifs, pas toujours facile à expliciter, mais qui, en s’additionnant - plus exactement en se combinant - nous permettait de moins souvent nous tromper, d’avoir une bonne perception de la qualité du travail et de la collaboration future avec la nouvelle personne. On s’est rarement trompé parce qu’on "co-décidait".
Bien entendu, le critère du diplôme nous était imposé, nous n’avions que peu de choix à ce propos. Sans pouvoir jouer sur ce critère, il était supposé que le diplôme garantissait une base minimum de compétence. Nous supposions qu’un Assistant social avait acquis la formation relationnelle suffisante et des connaissances fondamentale sur le fonctionnement de la société et des institutions.
Là où jouait notre évaluation, c’était sur les compétences personnelles davantage que sur les compétences intellectuelles et scolaires. Bien sûr celles-ci entraient en ligne de compte comme base de nos choix (quelles formations complémentaires, quels centres d’intérêt dans la panoplie des cours suivis, quels thèmes choisis pour les travaux et mémoires). Mais aussi quelles envies d’apprendre, d’en savoir plus, quels projets de formation, quelles aspirations dans le champs des connaissances...
L’essentiel, pourtant, n’était pas là, dans le champs des savoirs, mais dans le champs des activités et des expériences.
Les engagements sociaux, les participations à des projets, les compétences relationnelles acquises par l’expérience, les aptitudes ou les envies de progresser dans les contacts avec les autres...
Étaient clairement hors de nos critères, les options politiques, religieuses et philosophiques, les orientations sexuelles, les situations matrimoniales, les classes sociales d’origine... Mais entraient en ligne de compte les opinions socio-politiques, les jugements portés par le candidat sur les autres, son degré d’ouverture et de tolérance, sa résistance à la confrontation avec d’autres opinions...
Nous avions l’habitude de sonder les opinions sur l’école, sur l’organisation de la scolarité, la transmission des savoirs, sur l’égalité et la discrimination dans le système scolaire.
Cela nous a permis d’avoir une équipe unie, engagée et cohérente dans ses options de travail.
Beaucoup d’entre nous étions imprégnés d’Education nouvelle, avions participé à des rencontre ou des Universités d’été de l’Education nouvelle, nous connaissions Paolo Freire, Raimondo Dinello, Odette et Henri Bassis, la Communication NonViolente, le Prodas (Programme canadien de développement affectif et social), la pédagogie institutionnelle, la Programmation Neuro-linguistique ou l’Analyse transactionnelle. Nous avions une optique de travail engagée dans le psycho-pédagogique, pratiquant les animations de groupes d’élèves en classe, ou de groupes de parents, accompagnant les enseignants dans leurs difficultés et leurs succès. (1)
C’est dans ce contexte que je pose la question du "choix des meilleurs", qui suppose qu’il y a des meilleurs, donc des moins bons. Il serait plus correct et plus honnête de parler de personne convenant bien à l’emploi ou convenant moins bien à l’emploi visé. Car "choisir le meilleur candidat" n’est en rien contradictoire avec notre conviction du "tous capables". Tous capables de quelque chose (dommage que le concept de "capacitation" soit un peu boîteux au regard du "bon français"pour traduire "empowerment") mais pas tous capables d’entrer dans notre centre et de fonctionner en harmonie avec les autres membres de l’équipe.
C’est ce que j’appelle le repérage des compétences, qui n’a rien à voir avec la sélection des compétences, même si les deux concepts semblent proches et sont très souvent confondus.
L’école, elle, de son côté, doit-elle repérer et sélectionner ?
Plus précisément, que doit-elle repérer ? Quelles compétences ?
Dans quelles circonstances devrait-elle éventuellement sélectionner ?
De l’autre côté de la barrière, nous voulions avoir la certitude qu’une personne titulaire, par exemple, d’un diplôme d’Infirmière avait bien acquis les compétences requises pour exercer le métier d’infirmière sans faire de dégâts. Il fallait donc, qu’en aval, l’école ait fait le tri.
Aïe ! Voilà le vilain mot lâché.
Mais trier ne veut pas nécessairement dire éliminer. Comment trier (comme dans un tamis) sans discriminer ?
Il y a les paradoxes de l’orientation.
Mais il y a aussi des paradoxes de la sélection professionnelle ?_.
La question est claire. Les réponses sont à construire dans l’action.
Michel Simonis
24 novembre 2014, dans le cadre de la préparation d’un livre "Dé-chiffrer l’humain" avec le LIEN.
(1). Un compte rendu de cette période de notre histoire PMS est à paraître dans le travail de Florence Loriaux, historienne au Carhop, sur l’histoire du GBEN, à paraître en septembre 2016.
(A suivre sur le site du GBEN)