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Des apprentis lecteurs en difficulté avant six ans

Gérard Chauveau
Éliane Rogovas-Chauveau

Nous nous intéresserons ici aux difficultés propres à la lecture-écriture qui se manifestent à l’entrée au CP (1ère année de l’école élémentaire). Peut-on dire que, dès leur arrivée au CP ou même avant, certains des jeunes écoliers de six ans sont des enfants apprentis lecteurs à risques ou en difficulté ?

Au moment de recevoir l’enseignement systématique de la lecture-écriture au CP, les enfants se caractérisent de deux façons : premièrement, ils ont déjà des idées, des expériences et des acquis dans le domaine de l’écrit ; deuxièmement, ils sont déjà très différents les uns des autres quant à leurs connaissances et leurs compétences en lecture-écriture.

Le même statut social et scolaire - celui d’enfants dits non-lecteurs, prélecteurs, pré-lettrés ou apprentis lecteurs - recouvre en réalité des situations fort contrastées. D’un côté, on trouve ceux qui viennent au CP « terminer » leur apprentissage de la lecture. Mais de l’autre, il y a ceux qui sont « à peine entrés » dans le monde de l’écrit, ceux qui ont des idées tout à fait vagues ou confuses sur les fonctions et le fonctionnement de la langue écrite, ceux qui méconnaissent les pratiques et les pratiquants du lire-écrire.La réalité, c’est que les « niveaux » en lecture-écriture sont très différents d’un enfant à l’autre dès le premier jour de CP (G. Chauveau et É. Rogovas Chauveau, 1989, 1994,1997).

Mais pouvons-nous en déduire qu’une partie d’entre eux est déjà « à risques » ou « en difficulté » dans le domaine de la lecture-écriture ? Non, si l’on considère ces risques ou ces difficultés dans l’absolu, c’est-à-dire comme des attributs inhérents aux enfants : déficiences, anomalies, troubles de l’apprentissage (dérèglements, dysfonctionnements de l’apprenant). oui, si l’on

relativise les notions d’apprenti lecteur à risques ou en difficulté, c’est-à-dire si l’on prend en compte le double décalage chez ces enfants : décalage par rapport aux enfants de six ans bien plus « avancés » dans le monde écrit, et décalage par rapport aux attentes et aux normes de la majorité des maîtres de CR

À partir de quel écart, à partir de quel seuil peut-on supposer qu’un enfant de six ans est un apprenti lecteur à risques (ou en difficulté) au moment où il s’apprête à entrer au CP ? Comment saisir les difficultés « initiales » en lecture-écriture de cet enfant ?

Pour répondre à ces questions, il nous faut rappeler ce qu’est « l’apprentissage de la lecture » avant six ans, avant l’enseignement/apprentissage officiel et systématique au CP. Plus exactement, il nous faut commencer par distinguer deux périodes dans l’histoire - l’évolution - de l’enfant apprenti lecteur.

LA PREMIÈRE PÉRIODE DE L’ACQUISITION DU LIRE-ÉCRIRE

Pendant très longtemps, on a pensé que l’enfant commençait à apprendre à lire à six ans, à partir du moment où il recevait l’enseignement de la lecture-écriture à l’école élémentaire. Dans la vie des enfants apprentis lecteurs, il s’agit là en réalité du deuxième temps de l’apprentissage de la lecture : la. phase de maîtrise des mécanismes et des techniques de base de la lecture, qui permet d’accéder au savoir-lire autonome.

Les « vrais débuts » de l’acquisition du lire-écrire - l’entrée dans l’écrit - sont en général bien antérieurs. On peut dire que le jeune enfant commence à s’approprier l’écrit quand, par exemple, il prend l’habitude de se faire lire « des histoires » par un adulte et celle d’interpeller des pratiquants de la culture écrite : « Tu me lis l’histoire de X ? » « Lis-moi encore ce livre ! » « Qu’est-ce qui est marqué ici ? » « Qu’est-ce que tu écris ? » « Qu’est-ce que tu lis ? » etc. Dans le même temps, bien souvent, cet enfant fait ses premiers essais de « lecture et d’écriture » : il interprète un message écrit à partir de l’image qui l’accompagne ; il redit un court texte lu au préalable à voix haute par un partenaire ; il note son prénom sur le dessin qu’il donne à un proche ; il produit des notes écrites « pour jouer » en se servant d’une pseudo-écriture ou de pseudo-lettres, etc. Dès l’âge de trois ans environ, les enfants commencent à mettre en place des comportements et des pratiques de « lecteur » et de « scripteur ».

Ces pratiques de la lecture et de l’écriture vont de pair avec un travail cognitif - ou une activité réflexive - sur l’écrit. Bien avant l’âge « officiel » de la lecture (vers six ou sept ans), les jeunes enfants essaient de comprendre, de « penser » l’écriture et la lecture. Ils sont capables de s’engager dans une réelle activité « intelligente » pour se représenter - ou tenter de saisir – les fonctions (le rôle, les usages, les apports) et le fonctionnement (la structure, les règles linguistiques) de notre écriture. Mais leurs idées diffèrent profondément des idées qui semblent normales ou « évidentes » à des enfants lecteurs-scripteurs de sept ans.Pour reprendre les mots de Piaget concernant l’évolution de l’enfant dans le domaine logico-mathématique, elles semblent d’abord « originales » ou « très étranges ». Par exemple, un bon nombre d’enfants de trois ou quatre ans disent qu’ils savent lire. Ils confondent lire et raconter une histoire, lire et redire une histoire connue, lire et inventer une histoire en regardant les illustrations, etc. La plupart pensent qu’il faut plus de lettres (ou « plus d’écritures ») pour écrire train que pour écrire locomotive, « parce qu’un train c’est plus grand, c’est plus long ». Ou bien ils utilisent autant de lettres pour « écrire » chaton que Pour écrire le chaton mange la souris. Ces enfants apprentis lecteurs sont alors dans la « préhistoire de l’écriture » (Vygotski, 1930/1978 ; Ferreiro, -1982, P. 154).

La première phase d’acquisition de la lecture va donc consister pour l’enfant à essayer de comprendre pourquoi - et comment faire pour - apprendre à lire et à écrire : c’est la phase de compréhension. Plus précisément, il va tenter de résoudre trois questions : Quelles sont les fonctions et les pratiques de J’écrit ? Comment fonctionne le système écrit, quel est le « code » ? Comment faire pour lire ? Durant cette première période, (commencer à) apprendre à lire, c’est comprendre l’écriture et la lecture, c’est découvrir les trois dimensions de l’acquisition du lire-écrire :

 culturelle : les pratiques et les finalités de l’écrit ;
 linguistique le principe alphabétique de notre écriture ;
 stratégique les principales opérations en jeu dans l’acte de lire.

En d’autres termes, c’est accéder à « la clarté cognitive » Downing et Fijalkow, 1984), c’est élaborer des connaissances et acquérir des compétences sur trois objets :

 les usages de la lecture et de l’écriture, les apports du savoir-lire et écrire (le « sens » ou les finalités de l’apprentissage de la lecture) ;
 le système français d’écriture (le « code ») ;
 l’activité de lecture (la « stratégie » ou la méthode de lecture).

L’ensemble constitue la conscience de la lecture-écriture.

L’enfant a terminé la première phase d’acquisition de la lecture - la phase de compréhension - lorsqu’il a saisi pourquoi apprendre à lire et saisi le principe alphabétique de notre écriture. Il est alors prêt à — ou sur le point de - maîtriser « les mécanismes » de la lecture et de l’écriture.Le savoir-lire semble conditionné - au double sens du mot’ - par le degré de compréhension des aspects culturels, linguistiques et stratégiques de la lecture-écriture (voir l’introduction).

1. Conditionner : a) être la condition de, déterminer ; b) emballer, envelopper, préparer (un objet, une marchandise).

LA BATTERIE D’ÉVALUATION INITIALE DE LA LECTURE-ÉCRITURE (BEILE)

Nous utilisons une série de neuf épreuves qui permettent d’évaluer les acquis des enfants pré-lecteurs (ou prélettrés) dans ces trois secteurs : c’est la batterie d’évaluation initiale de la lecture-écriture (la BEILE).

ÉVALUATION DES ASPECTS CULTURELS

Épreuve 1 : Connaissance des supports de l’écrit

on présente à l’enfant dix supports écrits : un livre scolaire, un livre de littérature enfantine, un programme de télévision, un dictionnaire, une lettre dans son enveloppe, une notice de produit pharmaceutique, un prospectus, un journal d’informations générales, une revue de type Tout l’univers, un ouvrage de psychopédagogie.

on lui demande en montrant un support : « Tu sais ce que c’est ;> À quoi ça sert ? Qu’est-ce qu’on peut faire avec ? »

On cote un point par bonne réponse. Exemple : « c’est un livre » ou « c’est un journal » est noté o point si l’enfant ne peut expliquer le contenu ou l’usage du support. Par contre, on note un point pour « c’est pour savoir qu’est-ce qui se passe », « c’est pour lire les informations » (le journal), « c’est pour apprendre à écrire », « c’est pour apprendre (ou écrire) les mots » (livre de français). Si la réponse semble imprécise, on relance l’enfant : « Explique-moi. On peut lire quoi ? Pourquoi ? » etc.

Épreuve 2. Les raisons d’apprendre à lire

On interroge l’enfant sur sa volonté d’apprendre (ou de ne pas apprendre) à lire et sur les pratiques lecturales qu’il a « intégrées » :

« Tu as envie d’apprendre a lire ?Tu trouves que c’est bien de savoir lire ?Tu aimerais savoir lire ? », etc. Puis on lui demande d’expliciter, de justifier ses choix : « Pourquoi ça te plaît ? Pourquoi tu trouves ça bien ? Si tu savais lire, qu’est-ce que tu ferais ? Qu’est-ce que tu lirais ? Et qu’est ce qu’on peut lire encore ? À quoi ça sert de lire ? Et puis ça sert à quoi aussi ? Quand on sait lire qu’est-ce qu’on peut faire ? Quand tu sauras lire qu’est-ce que tu liras ? », etc.

Au cours de cet entretien, l’objectif est d’obtenir le plus de réponses et d’explications possibles.

On note un point pour chaque réponse qui fait référence, de façon explicite, à une pratique lecturale, c’est-à-dire à la lecture en tant que pratique sociale et culturelle. Par exemple : « J’aime bien les livres d’aventures, comme ça je pourrai en lire tout seul » ou « pour pas se tromper quand on fait les courses », « pour faire des mathématiques, il faut savoir lire ». Mais « pour lire des livres » ou « pour travailler », « lire des papiers » sont cotés o point. On demande alors à l’enfant : « Explique-moi : Que petit-on lire dans un livre ? Quel livre tu voudrais lire ? » etc.

ÉVALUATION DES ASPECTS LINGUISTIQUES

Épreuve 3 : Synthèse phonémique

L’enfant doit réaliser la synthèse (la fusion) de deux phonèmes en présence des deux phonogrammes (lettres-sons) correspondants.

« On va faire un petit jeu, c’est le jeu des bruits. » On commence par un essai non noté : « J’ai deux petits bruits /b/ /a/, je les mets ensemble. Qu’est-ce que ça fait ?... /b/ /a/ ensemble... ? »

Dans le même temps, on montre à l’enfant un carton avec les lettres b a.L’épreuve compte quinze paires de phonèmes : par exemple /p/ /o/ , /m/ /i/, /f/ /e/, /r/ /u/ , /p/ /a/.

Chacune est présentée en même temps que les phonogrammes correspondants : p o ou m i, f é, r ou, p an, etc.

Une bonne réponse est notée un point.

Épreuve 4 : Nommer les lettres

On présente à l’enfant une série de dix lettres (majuscules d’imprimerie) alignées sur une feuille : A P E T F 0 B M D U. On pointe chaque lettre en demandant .

« Tu sais ce que c’est ? Tu sais comment ça s’appelle ? »

On retourne la feuille et on recommence avec la même série de lettres (minuscules cursives) : a p e t f o b m d u.

on note 1/2 point si l’enfant donne le nom ou le son de la lettre. Par exemple, si P est nommé « pé » ou « pe », l’enfant obtient 1/2 point.

Épreuve 5 : Connaissance du langage technique de la lecture-écriture

Il s’agit d’une épreuve « papier-crayon » qui permet d’évaluer la connaissance de termes tels que : mot, phrase, lettre, chiffre, ligne, titre, premier mot, dernier mot, première lettre, dernière lettre, majuscule, minuscule, nom de l’auteur, etc. On cherche à savoir si l’enfant comprend le vocabulaire technique employé quotidiennement dans la classe de CP. Exemples -

item i  : i 5 a v « Entoure le nombre,
entoure le chiffre. »
item 2  : 3 T B R « Entoure le nombre,
entoure le chiffre. »
item 11  : M orange b X « Entoure le mot. »

item 14  : 111 mm personne nnn « Entoure le mot. »
thé par col Gel « Entoure la lettre majuscule. »
La plante pousse. avait ron « Entoure la phrase. »
Voyez mon chien. « Entoure la première lettre
de chaque mot. »

L’épreuve compte trente items. Chaque item réussi est noté un point (voir É. Fijalkow, 1993).

Épreuve 6 : Dictée de mots et d’une phrase

On demande à l’enfant d’écrire les mots suivants . chat, chatte, chaton,fourmi, lapin ; puis la phrase Le chaton mange la souris. On l’invite à écrire « comme il croit » ou « comme il peut » ou « avec son écriture à lui ».

Après l’écriture de chaque mot (ou de la phrase), on demande à l’enfant de « lire » ou de « dire » ce qu’il vient d’écrire « en montrant avec son doigt ». Puis on l’invite à dire ou à expliquer comment il a fait (voir J.-M. Besse).

Les enfants ont été classés en cinq niveaux ou cinq catégories (voir J.M. Besse, 1993 ; G. Chauveau et É. Rogovas-Chauveau, 1994, pp. 69-80).

Niveau 1 : Simili-écriture ou traces

L’enfant fait la différence entre la trace écrite et le dessin. Ses productions écrites sont des marques graphiques, des traces liées à l’activité du moment. L’enfant ne leur attribue pas de signification durable ; il les interprète, au contraire, de manière variable en « oubliant » le mot ou l’énoncé dicté par l’adulte. il s’intéresse au tracé (ou à la trace) et peu au message à écrire.

Niveau 2 : Écriture grapho-perceptive ou logographique

L’enfant pense l’écrit comme une marque se rapportant directement au référent (l’objet). Chaque production écrite est une sorte de logo (image écrite) sans rapport avec la forme orale de l’énoncé.

Niveau 3 : Écriture segmentée

L’écrit produit tient compte de la durée de l’émission (orale) ou de la quantité de fragments sonores (syllabes, mots). La différence de longueur est nette entre la graphie d’un mot court et celle d’une phrase. Quand il « relit », l’enfant essaie de - ou commence à - segmenter sa production écrite cil « morceaux » de mots ou de groupes de mots.

Niveau 4 : Écriture phonique

L’écrit correspond à une analyse phonique partielle de l’énoncé. L’enfant commence par écouter ou prononcer en décomposant ce qui est à écrire. il réussit à isoler un ou plusieurs « sons ».

Niveau 5 : Écriture presque alphabétique

L’écrit est pensé comme transcription d’une succession ordonnée des sons de l’énoncé oral (la parole). L’enfant peut exprimer (verbaliser) sa compréhension du principe alphabétique : la correspondance graphème/phonème. Il devient capable de produire une « écriture phonétique » même s’il connaît mal le code phonographique conventionnel.

ÉVALUATION DES ASPECTS STRATÉGIQUES

Épreuve 7 : Relire une phrase écrite

On lit une phrase à voix haute devant l’enfant, en pointant chaque mot avec le doigt : Bébé éléphant joue dans la rivière.Puis on lit à voix haute une seconde phrase sans pointer avec le doigt : Papa éléphant joue avec bébé éléphant dans la forêt. L’enfant est invité à « relire » la phrase en pointant chaque mot au fur et à mesure :

« Tu dis la phrase, tu lis la petite histoire en montrant les mots avec ton doigt. Écoute bien : Papa éléphant... » (On relit/redit la phrase.)

Les réponses sont classées en quatre niveaux ou quatre groupes 1 Aucun pointage : aucun mot n’est isolé par l’enfant. 2 Début de pointage . un ou deux mots pointés. 3 Pointage partie[ - au moins trois mots pointés. 4 Pointage complet : neuf mots pointés.

Des apprentis lecteurs en difficulté avant six ans

Épreuve 8 : Interpréter un texte (une phrase écrite) associé à une image

On présente à l’enfant une phrase écrite accompagnée d’une illustration : dix petits ours jouent dans la neige. On lui demande :

« Qu’est-ce que tu crois qui est écrit ici ? À ton avis, qu’est-ce qui est marqué ici ? » (On suit toute la phrase avec le doigt.) On ajoute : « Montre avec le doigt où tu crois que c’est écrit. »

Les façons de faire des enfants sont classées en quatre niveaux ou quatre groupes (voir G. Chauveau et É. Rogovas-Chauveau, -1993, PP. 23-41 ; 1994, pp.30-42).

Niveau 1 : L’interprétation centrée sur l’image

L’enfant projette du sens sur l’écrit sans traiter l’écrit lui-même, sans tenir compte des caractéristiques de l’énoncé : longueur, nombre de mots... Il « lit » l’image : ou bien il semble penser que l’écrit est une étiquette qui sert à nommer l’objet présent sur l’image ; ou bien il invente un court récit basé exclusivement sur le dessin.

Niveau 2 : L’interprétation/segmentation du texte

L’enfant prend en compte certaines caractéristiques « quantitatives » de l’écrit - longueur de l’énoncé, nombre de segments séparés par un blanc. Parfois il associe une syllabe sonore à un fragment écrit ou il invente (produit) un énoncé comprenant à peu près autant de mots que la phrase écrite.

Niveau 3 : Le conflit déchiffrage/compréhension

L’enfant se préoccupe de plusieurs aspects « qualitatifs » de ]’écrit : forme des mots, lettres, syllabes ; il reconnaît un ou deux mots, établit une ou deux correspondances grapho-phoniques. Mais il y a « divorce » entre ses essais de déchiffrage et sa recherche de sens : quand il veut comprendre ce qui est écrit, il « invente » sans tenir compte des éléments identifiés ; ou bien il se limite à nommer un personnage ou une action.

Niveau 4 : Le début du savoir-lire

L’enfant parvient presque (ou plus ou moins) à identifier plusieurs fragments écrits (syllabes, mots), à coordonner une information iconique et une information grapho-phonique, ou à essayer d’utiliser le contexte linguistique pour identifier un mot. Il commence à traiter trois sortes d’unités linguistiques : grapho-phoniques (lettres et syllabes), lexicales (mots) et syntaxico-sémantiques (groupe de mots ou phrase).

Epreuve 9 : Appréhender (décrire) l’acte de lire

Elle complète l’épreuve 8. On demande à l’enfant de dire ce qu’il faut faire pour lire le texte Deux petits ours jouent clans la neige.

« Comment il faut faire pour lire tout ça ? » (On suit l’énoncé avec le doigt.) « Explique-moi bien. Et qu’est-ce qu’il faut faire encore ? Celui qui sait lire, comment il fait pour lire tout ça ? »

Puis on lit la phrase à voix haute (sans pointer avec le doigt). Et on demande :

« À ton avis, comment j’ai fait pour lire cette petite histoire ? Qu’est-ce que j’ai fait pour lire tout ça ? »... « Et toi, qu’est-ce que tu dois apprendre, qu’est-ce que tu dois savoir faire pour lire cette petite histoire ? Et qu’est-ce que tu dois faire encore... ? »

On invite l’enfant à expliquer le mieux possible ce qu’il « croit » ou ce qu’il « pense ».

Les réponses sont classées en quatre groupes ou quatre niveaux :

Niveau 1 : L’enfant ne distingue pas l’activité de lire.
Niveau 2 : L’enfant sait qu’il faut traiter/segmenter la phrase écrite.
Niveau 3 : L’enfant dit qu’il faut « trouver les lettres » ou « trouver les mots ».
Niveau 4 : L’enfant mentionne les trois types d’éléments linguistiques à traiter : les lettres-sons, les unités lexicales (les mots), la phrase (l’histoire) ; il sait qu’il faut à la fois décoder et comprendre.

LES APPRENTIS LECTEURS EN DIFFICULTÉ

Nous avons examiné cent six enfants de six ans « normaux », à la fin de la grande section maternelle : aucun ne présentait de trouble, de retard ou de handicap particulier.Ces cent six enfants ont ensuite été scolarisés dans sept classes de cours préparatoire « ordinaires » : les maîtres avaient tous au moins deux ans d’expérience au CP, ils utilisaient une méthode de lecture courante (Ratus, Au fil des mots...) et recouraient à des prestations pédagogiques peu innovantes.

À la fin du CP, nous avons évalué les performances des enfants en lecture-compréhension de deux façons : appréciation du maître (A, B, C, 0) et résultat à un test de lecture silencieuse (A, B, C, D).

Vingt et un enfants - soit un cinquième - ont été classés D par les deux modes d’évaluation. Nous avons alors recherché le protocole de ces vingt et un faibles lecteurs lors de la passation de la BEILE, un an plus tôt.

• Ces vingt et un enfants avaient tous obtenu des scores faibles à la BEILE. Leur résultat très médiocre en fin de maternelle « annonçait » leur difficulté en lecture dans un CP ordinaire.

• Ces vingt et un enfants ont tous des performances peu satisfaisantes dans l’ensemble des neuf épreuves de la BEILE. Aucun ne présente un déficit important dans un seul secteur. On peut estimer que les futurs mauvais lecteurs (ou les futurs élèves en difficulté de lecture) sont en difficulté, vers six ans, dans les trois domaines étudiés : culturel, linguistique, stratégique.

• Le faible score obtenu dans certaines épreuves permet de « pronostiquer » des difficultés sérieuses dans l’apprentissage de la lecture au CP. Par exemple, tous les enfants qui ont au maximum 3 points à l’épreuve 1 (connaissance des supports) ou i point à l’épreuve 2 (pourquoi apprendre à lire) ou 15 points à l’épreuve s (connaissance du langage technique) se situent un an plus tard dans le groupe des faibles lecteurs (dans des conditions pédagogiques ordinaires). Une note faible dans une seule de ces épreuves suffit à « prédire » des difficultés de lecture au CP (dans un contexte scolaire ordinaire). Mais ce résultat doit être relativisé puisque aucun enfant n’a une performance faible dans une seule épreuve (voir ci-dessus).

• Le faible score obtenu dans d’autres épreuves ne permet pas à lui seul de « prévoir » l’insuccès de l’enfant dans un CP ordinaire. Par exemple, certains enfants qui ont eu 0 point à l’épreuve 3 (synthèse phonémique) et à l’épreuve 4 (connaissance des lettres) deviennent bons lecteurs un an plus tard. Mais un score 0 (ou proche de 0) dans une de ces épreuves est un bon prédicteur de l’insuccès au CP, lorsqu’il est associé à des scores bas dans d’autres épreuves, par exemple dans les épreuves « culturelles » ou les épreuves de « dictée ».

• Enfin, ces vingt et un enfants se différencient très nettement d’un groupe de vingt enfants qui ont obtenu de bons scores à la BEILE en fin de maternelle et qui sont de bons lecteurs en fin de CP (notés A ou B).

Ces vingt enfants « avancés » ont atteint les scores suivants aux 9 épreuves de la BEILE

1. connaissance des supports  : 8
2. raisons d’apprendre à lire  : 5
(réponses culturelles, existence d’un projet personnel de lecteur)
3. synthèse phonémique  : 12
4. connaissance des lettres  : 8
5. connaissance du langage technique.  : 25
6. dictée  : niveau 4 ou 5
7. relecture  : niveau 4
8. interpréter un texte  : niveau 3 ou 4
9. décrire l’acte de lire  : niveau 3 ou 4

En revanche, la plupart des vingt et un enfants « à risque » obtiennent les résultats suivants

1. 3  : 6. niveau 2
2. 1 ou 2  : 7. niveau 2
3. 0 ou 1  : 8. niveau 1 ou 2
4. 1 ou 2  : 9. niveau 1 ou 2
5. moins de 15

CONCLUSION

• Au moment d’entrer au CP, les enfants de six ans qui ont des difficultés propres à la lecture-écriture sont en situation difficile dans les différents secteurs examinés par la BEILE (batterie d’évaluation initiale de la lecture-écriture). Leurs difficultés sont à, la fois culturel1 s, linguistiques et stratégiques. Ce résultat consolide l’idée selon laquelle le processus d’acquisition de la lecture est « un phénomène à trois dimensions » : culturelle,
linguistique et stratégique.

• Au moment d’entrer au CP, les différences « en lecture-écriture » entre enfants apprentis lecteurs sont très importantes. Dans notre échantillon d’une centaine d’enfants, on remarque deux groupes « opposés » d’égale importance (environ vingt enfants, soit un cinquième d’entre eux) : le groupe des « avancés » qui vont réussir au CP et celui des apprentis lecteurs « en difficulté ».

• Si l’on se place sur le terrain pédagogique, nos résultats suggèrent que l’école maternelle - et en particulier la grande section - a un rôle important à jouer dans le domaine du langage écrit et de l’éducation à l’écrit, surtout en direction des apprentis lecteurs à risque. ils indiquent aussi que l’intervention pédagogique destinée à ces apprentis lecteurs à risque devrait porter sur les trois dimensions de l’acquisition de la lecture, aussi bien en grande section maternelle qu’au cours préparatoire.

Bibliographie

• BESSE J.-M., « De l’écriture productive à la psychogenèse de la langue écrite »,
in G. CHAUVEAU et al., L’Enfant apprenti lecteur, Paris, INRP-L’harmattan, 1993.
• CHAUVEAU G. et ROGOVAS-CHAUVEAU É., « Les idées des enfants de six ans sur la lecture-écriture », in Psychologie scolaire, 68, 1989.
• CHAUVEAU G. et ROCOVAS-CHAUVEAU É., Les Chemins de la lecture, Paris, Magnard, 1994.
• CHAUVEAU G. et al., L’Enfant apprenti lecteur, Paris, INRP-L’Harmattan, 1993.
• CHAUVEAU G. et al., Comment l’enfant devient lecteur, Paris, Retz, 1997.
• DOWNING J. et FIJALKOW J., Lire et raisonner, Toulouse, Privat, 1984 (1re éd.).
• FERREIRO E. et al., Nuevas perspectivas sobre los procesos de lectura y escritura, Siglo XXI, Mexico, 1982.
• FIJALKOW E., « Clarté cognitive en grande section maternelle et lecture en cours préparatoire », in G. CHAUVEAU et al., L’Enfant apprenti lecteur, Paris, INRP-L’Harmattan, 1993.
• VYGOTSKI L., « The prehistory of written », in Minci in Society, Harvard University Press, 1978 (1ère éd. 1930).