Nicolas
Je pose une corbeille devant lui. Plusieurs objets de forme et texture différentes. Yeux fermés grâce à un cache je l’invite à choisir un objet et à le tâter.
- Ça c’est une pierre !
– Oui, c’est une pierre. Tu l’as deviné, Comment l’as-tu deviné ?
– Ben parce que c’est une pierre.
Il prend une pelote de laine.
– Ça c’est de la laine. La laine c’est pour tricoter. Ma mère elle tricote pas, elle a pas le temps. C’est ma grand-mère qui tricote.
– Oui, tu as deviné. La pierre et la laine c’est pareil dans ta main ?
– C’est bête ce que tu dis. La pierre elle est ronde, elle est dure. Oui, c’est tout rond, tout dur. La laine, c ’est mou. c’est doux : Un petit peu.
Il pose la laine. Prend un morceau de tulle.
– Ca, je connais pas,. mais c’est vachement… vachement…
Il ne trouve pas le mot. Il traduit par “ce que ça n’est pas” en comparaison avec les objets précédents : “c’est pas doux… c’est pas dur… c’est un peu comme du carton. Mais c’est pas vraiment du carton…” et nous poursuivons. C’est l’occasion de lui faire faire la différence entre ce qu’il sait et ce qu’il sent. Il en sait plus qu’il ne croyait mais aussi, il est capable de sentir. (…) Il découvre qu’il fait confiance à ses sens : il en prend conscience.
Et même s’il ne sait pas, il sent. Pour cela il n’a pas besoin de livres mais de ses mains. Par contre, il a besoin de mots. d’où l’intérêt des leçons de vocabulaire. Son vocabulaire est, disons, pittoresque. J’accueille ces mots et nous cherchons ensemble des équivalents.
Actes conscients, marche et lecture à haute voix, nous suivons, peu ou prou, 1’ordre vittozien. Les installations sont de véritables gymkhanas. Le derrière sur· la trop haute chaise tressaute, les pieds ballants… balancent, les bras moulinent et la tête girouette.
Comme presque toujours, c’est la respiration qui fait miracle. Je souffle. Je fais le train ... tchou ... tchou ... puis j’avise que j’ai des pieds, que font-ils ? des jambes, des bras, des mains. J’agite puis je repose. Je me "centre", ce qui veut dire que je ne sens que mes mains, que mes pieds ...
"Ne pas bouger c’est être mort" lâche-t-il. Nous y voilà.
Nous parlons de la vie, de la mort, du sommeil... Pour Nicolas, être sage c’est être mort.
Alors je pense au père alcoolique qui cherche la vie dans son alcool “l’eau de vie”et ne la trouve jamais. Il est 1a dupe… tout comme Nicolas qui cherche la vie dans l’agitation copiée sur son père… et ne la trouve pas non plus.
Nicolas prend conscience.
Nous pouvons alors aborder la relaxation.
Les progrès en classe se sont fait attendre, surtout en conduite. Mais sans doute a-t-il fallu du temps à l’école pour s’apercevoir que Nicolas avait changé et que ses camarades abusaient de lui pour lui faire porter le chapeau.
(“Vittoz et pédagogie, Une méthode pour réussir ensemble enseignants - élèves”, Ouvrage collectif, Chronique sociale, 1996, p. 62 et 63)