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Table ronde Lecture-Ecriture : réponses à 4 questions

TABLE RONDE ABLF Huy – nov 2002

QUESTION 1

1. Lorsque l’ABLF a été créée, dans les années 70, on pouvait imaginer fonder une association qui ne porte - comme son nom l’indique - que sur le seul apprentissage de la LECTURE. Les perspectives actuelles s’orientent vers la prise en considération de ce qu’on appelle la « littératie », englobant dans un même concept tout le rapport à l’écrit, celui du lecteur comme du scripteur. Est-ce une révolution ?

Lecture et écriture ?
Point de vue de Michel Simonis

Que les enfants et les ados lisent, cela ne pose aucun problème ni aux écoles, ni aux enseignants, ni à la société. Que les enfants et les ados écrivent, c’est plus problématique : où va-t-on si chacun se met à écrire, n’est plus seulement écriveur (voire piètre écriveur) mais "écrivain" ? Si chacun se met à prendre la plume, donc à prendre la parole par écrit, que va-t-on faire de tous ces écrits ? C’est la porte ouverte à toutes les protestations, à toutes les divergences…

Imaginez un peu que les jeunes des banlieues se mettent à écrire plutôt qu’à tager ? déjà qu’ils écrivent des textes pour des chansons rap… Un peu, ça va…

Et si dans les entreprises, les travailleurs se mettaient à écrire, à s’écrire ce qui va et ce qui ne va pas… A l’ISCO, le cours d’"Expression et méthode de travail" donnait – et donne toujours -des outils aux travailleurs. Et c’est ce que tentent de faire certaines ONG dans le Tiers Monde.

Pour moi, la lecture sans l’écriture est un apprentissage tronqué, édulcoré. (Comme une castration, car) il y manque l’engagement, la prise de parole, l’affirmation de soi par l’écriture, l’émancipation, pour ne garder que la face plus réceptive de la "littératie", d’acquiescement, voire de soumission.

Lire, se plier aux idées de ceux qui savent (ils ont écrit donc ils savent !), les croire, adhérer, se conformer.

(L’école obligatoire, donc aussi l’apprentissage de la lecture, a été promue par la bourgeoisie pour se concilier la classe ouvrière, la dociliser, la policer, la rendre plus citoyenne, moins sauvage.

Peut-être que si on avait pu apprendre aux enfants à lire sans trop leur apprendre à parler et à écrire, certains auraient pensé à le faire.)

Mais aujourd’hui, n’est ce pas un peu ce qui se passe ? la plupart des enfants apprennent à lire, plus ou moins bien, mais peu apprennent réellement à écrire. Les textes libres restent une exception à l’école.

On parle de "fureur de lire" : c’est un succès. OK. Si on parlait de fureur d’écrire, ça paraîtrait un peu incongru, un peu dangereux, non ?

(Un trio lire-écrire-s’exprimer oralement. Cf. les Cercles de lecture")

(Mais au fait, ce qui se passait au début du 20ème siècle quand on a rendu l’école obligatoire chez nous, pour policer et rendre plus citoyens les enfants de la classe ouvrière, n’est ce pas ce qui se passe aujourd’hui avec les jeunes marginalisés, ceux des banlieues, ceux venus d’ailleurs, du sud de la méditerranée ou des pays de l’Est, à qui il faudrait aussi apprendre à bien lire et à bien écrire, pour mieux les intégrer dans notre société ?)

QUESTION 2

2. Les activités de lecture à l’école primaire et au secondaire étaient centrées, il y a encore peu de temps, sur ce qu’on pourrait appeler les « belles lettres ». En effet, les textes proposés aux enfants comme aux adolescents consistaient pour l’essentiel en extraits de livres d’auteurs connus pour être lus ou servir de modèles lors d’exercices de phraséologie ou de « composition ». L’approche fonctionnelle a, quant à elle, orienté les regards sur les écrits utilitaires. Quelle devrait être aujourd’hui, d’après vous, la place et le type d’abord de la littérature à l’école ? Et quel type de littérature devrait être proposé aux lecteurs ?

Quelle littérature ? fonctionnelle en quoi ?
Point de vue de Michel Simonis

J’ai envie d’évoquer la notion de secret et d’interdit. Quand j’étais au collège, il y avait des livres interdits. Quand je me suis mis à lire Bergson, un professeur m’a sermonné : ce n’était pas bon pour moi. La bible a longtemps été interdite de lecture au peuple.

Alors, lire pour découvrir des secrets cachés ? c’est une motivation pas plus mauvaise qu’une autre…

Entre les écrits "sacrés" (qu’on n’aborde qu’avec grand respect) et les écrits utilitaires (qu’on jette après usage), il y a place pour tout un éventail et la littérature enfantine qui est d’une richesse graphique extraordinaire, est peut-être d’une grande richesse textuelle également ? Et je ne peux m’empêcher de penser aux contes de Grimm, à qui Catherine Thiran redonne toutes leurs lettres de noblesse, en montrant combien, plus que tout autres, ils recèlent de sagesse profonde, sagesse profondément enracinée dans notre patrimoine culturel européen.

Pour moi, une littérature "fonctionnelle" n’est pas une littérature utilitaire mais une littérature qui répond aux besoins fondamentaux des enfants et des jeunes d’aujourd’hui, à leurs besoins vitaux.

• Besoin de se construire – ou de se re-construire - , de trouver DU SENS à leur vie, à leur destin, au monde qu’ils voient tourner fou autour d’eux.

• Besoin de se construire une identité, ("littérature miroir" – Michaux : "j’écris pour me parcourir".)

• Besoin de se décaler par l’humour (pour prendre distance, rire de soi et "jouer" avec les choses trop sérieuses (quand elles deviennent trop insupportables), pour rigoler, s’amuser, se moquer, se défendre et surmonter ses peurs et ses blessures.

• Besoin d’apaiser ses pulsions, sa colère.

• Lire pour comprendre l’autre et pardonner, lire pour se libérer des déterminismes familiaux – transgénérationnels – qui pèsent sur eux.

• Lire pour rencontrer, se passionner, aimer, être amoureux, s’enthousiasmer.

• Lire pour se sentir vivant, pour revivre, se sentir vivre, pour être "en-vie".

Comment offrir (et quels textes offrir) à la lecture des ados des banlieues d’aujourd’hui, de multiples nationalités et cultures, pour répondre à tous ces besoins ?

Ce n’est évidemment pas NOTRE littérature bourgeoise occidentale qui va répondre à leurs quêtes de sens et d’identité.

(à moins de professeurs –"passeurs" géniaux, et il y en a !)

QUESTION 3

3. Concernant l’apprentissage initial, la guerre des méthodes semble toujours faire rage. Chaque début d’année scolaire vient jeter de l’huile sur le feu. Mais cette question reste-t-elle vraiment pertinente ? Ne faudrait-il pas s’interroger plutôt sur la nature des processus qui structurent les pratiques individuelles et collectives de lecture et d’écriture ? Quelles sont pour vous les orientations à prendre ?

Point de vue de Michel Simonis

La guerre des méthodes ne serait-elle pas une guerre des sexes, une guerre de religion, une guerre culturelle ? Bref, une guerre qui dépasse largement la question pédagogique, mais concerne l’éducation, l’homme dont on rêve pour demain : lecture émancipatrice, lecture révolutionnaire ("libre école…") voire anarchiste, ou lecture normalisante, docilisante, lecture "bon chic bon genre, académique, voie royale d’accès à l’université ?

Et on touche aussi à une question sociale.

L’apprentissage de la lecture pour tous, donc aussi pour les oubliés, les largués, les paumés ou apprentissage d’élite ?

La question devient : "quelle est la méthode la plus adéquate pour apprendre à lire à ceux qui, le plus souvent, restent sur le carreau de l’école ?" C’est donc une question POLITIQUE !

Le positionnement social n’est pas qu’une question scolaire.

C’est quelque chose d’inhérent à toute société (et les sociétés humaines le partagent avec les sociétés animales supérieures).

Alors les enfants, les familles vont se servir de tout ce qui est à leur disposition pour se positionner : vêtement, matériel scolaire, langage, et aussi apprentissage, et aussi lecture.

Et les enseignants vont jouer le jeu, l’accentuer ou le freiner plus ou moins consciemment en fonction de leur degré de conscientisation sociopolitique, ou institutionnelle.

Vont-ils – ou non – mettre à jour dans les discussions entre enfants ces enjeux sous-jacents, plus ou moins inconscients, en tout cas non dits ?

Leur façon d’évaluer les acquis va accentuer ou non ces positionnements et les transformer en valorisations, discriminations, voire en exclusions.

1. Entrer en lecture pour un enfant touche des enjeux qui le dépassent considérablement : il y va du statut de ses parents, de leur image de soi, de leur rapport à la famille élargie, aux voisins, aux collègues de travail. Cela touche à leur rôle de parents (bons ou mauvais) et surtout à leur positionnement social, à leur insertion culturelle dans un groupe social – la leur à l’origine, étranger éventuellement, un autre où s’intégrer, s’assimiler, ou face auquel garder son identité ou s’affirmer comme différent…

(C’est entrer en soumission ou entrer dans un processus d’émancipation, s’adapter, s’intégrer, se normaliser, apprendre à lire "contre, tout contre…" (Neumeyer).

J’entend dire qu’il y a une formidable émancipation cachée - sous le voile - des jeunes filles musulmanes à Bruxelles… et je serais curieux de savoir quel est leur rapport à la lecture et à l’écriture…)

2. parallèlement, le débat sur les méthodes de lecture pose peut-être les mêmes questions qui débordent largement la stricte pédagogie : quel type d’enfants voulons-nous pour demain ? quels sont nos idéaux sociaux ? quel est mon statut de chercheur, d’acteur sur le terrain ?

Pour ouvrir large aussi les portes aux courants d’airs extérieurs à la stricte pédagogie, je cite encore ceci. Quelqu’un me disait récemment que la lecture est une question de nécessité : on lit quand on ne peut pas faire autrement. Et disait cette personne, c’est aussi une question de mystique : il y a dans cet apprentissage quelque chose comme une révélation, un déclic sacré. Une collègue parle de voyage initiatique. Cette dimension d’intériorité, c’est aussi ce que dit Annick de Souzenelle quand elle parle de risque d’obscurantisme (le mot est ici paradoxal !) dans le fait de ne plus apprendre aux enfants le symbolisme des lettres, qu’elle soient hébraïques ou autres… Il y a une sagesse universelle contenue dans la forme des lettres, une sagesse qui tend à se perdre. N’est-ce pas dommage ?

QUESTION 4

4. Chacun d’entre vous, de par ses préoccupations spécifiques, porte un regard particulier sur l’apprentissage du langage écrit, la littératie. Quelle est pour vous la question actuellement la plus urgente dont devraient se préoccuper enseignants, chercheurs et autres praticiens de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture ?

La question la plus urgente ?
Point de vue de Michel Simonis

1. Il y a d’abord la question que chaque enseignant devrait SE poser en urgence : "quel est mon rapport à la lecture et à l’écriture ?" "moi qui veut que mes élèves lisent et écrivent, est-ce que je lis, et quoi ? et pour quoi ? est-ce que j’écris , et quoi ? et pour quoi ?"

2. Il y a une deuxième question : celle du rapport au plaisir. Apprendre à lire sans plaisir, c’est vraiment idiot (c’est "mourir idiot" !) Et pour préserver le plaisir, il faudrait (quel dommage !) exclure cet apprentissage d’un certain nombre d’écoles ! Laisser, de grâce, l’apprentissage de la lecture hors de l’école, car l’école est souvent ennuyeuse, stressante, lieu de rejet, de conflits mal gérés, de discrimination, de lutte pour être reconnu (de lutte pour la vie !). L’école est parfois une tueuse de talents, tueuse de curiosité. Le premier jour de mon entrée à l’université, en première candidature, un professeur nous a dit "ici, on ne tue pas, on constate des décès !". C’était son entrée en matière, son avertissement.

Si l’école est si souvent accusée d’étouffer les talents, c’est en partie à cause des bulletins, des contrôles, des points, des sanctions parentales et autres, du stress des parents…

3. Si on ne peut laisser l’apprentissage de la lecture hors de l’école, qu’au moins on interdise de mettre des points ! Est-ce qu’on met des points aux bébés qui apprennent à parler ou à aller sur le pot ?

(J’ai donné un cours de créativité à des éducateurs en fonctions dans une école de "promotion sociale" (!) et je devais mettre des points sur 20 ! (et garder trace des œuvres, des travaux cotés pour une inspection éventuelle).

Apprendre à écrire et à lire sans mettre des points pour protéger l’activité, lui garder sa fraîcheur, sa spontanéité, son plaisir de la découverte…

Si apprendre à lire sans plaisir est idiot, apprendre à lire pour des points, quel désastre !

4. Pour revenir aux méthodes, il y a un ’4ème urgence : sortir les enseignants de l’outil pour l’outil et leur donner les moyens pour réfléchir à leur pratique, aux tenants et aboutissants, à prendre distance, à se distancier, à débattre des enjeux.

Et c’est ce qu’on fait ici, quel bonheur !

La lecture, pour le Pisa, c’est être capable de jugement, de critique, c’est un tremplin pour l’écriture et la parole libre. Le paradoxe, c’est qu’il faut se soumettre – se plier à l’apprentissage – pour arriver à l’émancipation par la lecture critique, la prise de parole et l’écriture libre.

Dommage que beaucoup en restent au stade de la soumission aux contraintes, sans pouvoir découvrir le plaisir de l’affranchissement et de la découverte…

Michel SIMONIS