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LES PALIERS DE CONSTRUCTION DE L’ECRIT

L’examen des productions écrites – Jean-Marie Besse
in "L’enfant apprenti lecteur" (cresas n° 10 INRP L’Harmattan 1993, p. 56 à 61)

L’examen des productions écrites obtenues suppose de définir des critères d’analyse, puis des indicateurs de progression. Tous les chercheurs n’adoptent pas le même point de vue ; deux grandes orientations (à l’intérieur desquelles des séparations moins nettes interviennent) semblent Ici se dégager.

1. celle qui vise à comparer la production écrite de l’enfant à ce que serait la production écrite "normale", d’un scripteur expert. Dans ce premier groupe se retrouvent des chercheurs qui analysent la nature et la quantité des matériaux graphiques utilisés ainsi que la prise en considération des conventions générales de la langue française écrite (la linéarité, l’écriture de gauche à droite, l’emploi des lettres conventionnelles, la nomination des graphies, l’emploi des majuscules, la séparation entre les mots, la nature du répertoire de graphies, la variété et le nombre de graphies, la maîtrise progressive de l’écriture et de la reconnaissance du prénom de l’enfant, puis des mots appris globalement par l’enfant... ) ; ces critères sont alors le plus souvent étudiés pour eux-mêmes, décomptés à part les uns des autres (aspects formels) ;

2. l’orientation qui privilégie la recherche des "représentations" que le jeune enfant a de la tâche à accomplir (une production d’écrit sans modèle) et de la nature de la langue française écrite. Ce courant cherche plutôt à décrire ce qui semble pris en compte des lois d’organisation du plurisystème graphique et la manière de les agencer pour construire une "conceptualisation" (aspects structurels). (...)

Activité conceptualisatrice

C’est dans ce deuxième courant d’analyse des productions écrites du jeune enfant que se situent les travaux que j’exposerai. L’analyse des productions écrites, et de leur contexte de production, permet en effet de dégager une suite de conceptualisations générales, décrites sur la base de l’observation de plusieurs centaines de protocoles recueillis auprès de jeunes enfants.

Nous postulons que le jeune enfant, au cours de ces observations, nous donne à comprendre comment il essaie de "penser" cet objet relativement opaque qu’est la langue écrite : ce travail cognitif, entrepris très tôt chez la plupart des enfants, se traduit par une activité conceptualisatrice, dont le chercheur étudie la dynamique et les manifestations.

L’ÉVOLUTION GÉNÉRALE DES CONCEPTUALISATIONS SUR L’ÉCRIT

Les conceptualisations ci-dessous se présentent selon une succession générale empiriquement constatée ; elles ne doivent pas être comprises comme la séquence obligée par laquelle passent tous les enfants.


1. Dans son écriture, tout semble se passer comme si l’enfant situé à ce premier palier se donnait à comprendre l’écrit comme

1- UNE TRACE DIFFÉRENTE DU DESSIN

voir illustration fig. 1 et fig. 2 > doc p.17

Production écrite

Si l’enfant accepte de produire des graphies, nous ne parvenons pas à retrouver sa "règle Implicite" de production. Il nous montre son répertoire, pose des traces sur le papier et s’en tient là, semble-t-il.

Les enfants de ce groupe peuvent utiliser autant de graphies pour écrire des mots courts que des longs, des mots Isolés que des phrases. Même si ces enfants se servent de formes graphiques figuratives (tracés représentatifs de l’objet), Ils les intègrent dans un ensemble où peuvent intervenir des matériaux non figuratifs (ronds, ondulations, pseudo-lettres...

Oralisation

Les productions écrites fournies par les enfants de ce groupe, à notre demande, sont plutôt à comprendre comme des marques écrites liées à l’activité du moment. L’enfant ne leur attribue pas de signification durable ; au contraire, il va les interpréter de manière variable : Il semble que l’écrit soit alors mis fortuitement en relation avec quelque chose qui peut être nommé, sans qu’il y ait de relation privilégiée et stable entre ce nom et l’écrit produit. Cette « signification » attribuée à l’écrit peut provenir :

 soit de ce qui avait été demandé par l’expérimentateur
 soit de ce qui est alors dans le champs de conscience de l’enfant (ou qui lui vient à l’esprit dans le contexte de la relation à celui qui demande detrouver une signification à cet écrit).
 soit de ce qu’il aperçoit autour de lui au moment où on lui pose cette question (illustration, dessin...),

Geste du doigt

L’enfant montre rapidement son écrit (geste pointé ou soulignement global).

Les sujets de ce groupe ne "lisent" pas, mais "disent" ce dont ils se souviennent. Pour eux, tout semble se passer comme si l’écrit qu’ils ont produit était un matériel graphique sans signification propre, ni constante.


2. D’autres productions écrites semblent Indiquer que, pour leur auteur, l’écriture serait à comprendre comme une

2- TRACES SE RAPPORTANT AU RÉFÉRENT

(à ce dont on parle)

voir illustration fig. 6 et Marie-Amélie > doc p. 20

Production écrite

L’enfant de ce groupe crée des différences quantitatives et/ou qualitatives (variation interne des graphies ; quantité variable) pour des productions liées à des demandes différentes. Pour lui, tout se passe comme s’il savait qu’une écriture différente de la précédente est nécessaire lorsqu’on veut représenter un objet différent.

Cette trace écrite peut prendre en compte la taille respective des référents : on constate alors une augmentation significative du nombre de graphies utilisées lorsqu’il s’agit de produire un écrit correspondant à un objet plus grand que les précédents.

Le matériau graphique utilisé est très proche de celui cité pour le groupe précédent. On note toutefois un emprunt plus net aux lettres conventionnelles, qui sont parfois correctement nommées.

Oralisation

Au-delà du temps même de la production, les écritures ainsi inventées ne conservent pas de signification fixe. La "reconnaissance" de ce qu’il a écrit s’appuie, pour l’enfant de ce groupe, sur la mémoire du mot ou de la phrase demandés par l’adulte. L’écriture ne lui fournit pas d’indice stable et durable, à partir duquel Il pourrait conserver une Interprétation unique.

Geste du doigt

L’enfant montre rapidement son écrit (geste pointé ou soulignement global)

Les sujets de ce groupe semblent avoir construit des critères leur permettant de déterminer si une suite de graphies constitue bien un "mot", c’est-à-dire quelque chose de "lisible" ; ce "mot" doit avoir par exemple, une quantité minimale de graphies (deux ou trois, le plus souvent) ; autre critère utilisable, la variété intrafigurale : ces enfants semblent estimer qu’un mot ne peut pas comporter la même graphie se succédant plusieurs fois (AAAA n’est pas un mot, pour eux). Ils travaillent donc leur production écrite en jouant à la fois sur la variation qualitative de leur répertoire de graphies (combinatoire) et sur la variation quantitative (plus ou moins de graphies) (cf. les travaux d’E. FERREIRO).


3. Un autre ensemble d’écritures semble tenir l’écrit pour une

3- TRACE RELATIVE À LA DURÉE DE LA CHAÎNE SONORE

voir illustration fig. 7 et fig. 8 > doc p. 21 et 22

Les enfants qui relèvent de cette catégorie adoptent diverses modalités d’ajustement entre l’écrit à produire et l’oralisation ou le geste du doigt. tout se passe comme si, pour eux, l’oral (mot ou phrase) proposé par l’expérimentateur et gardé en mémoire de travail servait de repère principal pour" guider" l’écrit à produire ou pour "l’interpréter". Il s’agit en quelque sorte, pour les enfants de ce groupe, de faire correspondre, sur la place utilisée par les graphies, la durée de cet oral et l’espace de l’écrit.

Plusieurs manières de traiter cette durée de l’énoncé peuvent être distinguées.

3.1. On constate tout d’abord une différence nette entre l’écriture des mots et celle des phrases ; le plus souvent, c’est la quantité même de graphies qui se trouve accrue lors de l’écriture relative à la phrase.

Mais on voit aussi certains enfants disposer, sur l’une ou l’autre phrase, une ou plusieurs séparations entre des groupes de graphies : la production écrite est ainsi segmentée.

De même, l’oralisation et le geste du doigt correspondant aux phrases sont parfois segmentés (alors que la production écrite ne l’est pas forcément, ou pas sur les mêmes découpes) ; suivent-elles des "groupes de souffle" ou correspondent-elles plutôt à un "empan visuel", à une unité de perception spatiale ?

Nous voyons dans ces comportements l’indication d’un début de prise en compte de la durée de l’énoncé, donc une attention portée à la chaîne sonore et non plus au référent.(la chose nommée)

3.2. D’autres enfants cherchent à ajuster assez strictement leur écrit et l’oral, soit au moment de la production, soit à l’oralisation, ou encore lors du geste du doigt, au signalement ou à la verbalisation.

Les enfants de ce groupe utilisent un nouveau critère relatif à l’écrit : ils tiennent leur production écrite pour un signifiant stable, auquel Ils s’efforceront donc d’ajuster leur oralisation ou leur geste du doigt. Pour eux, les marques écrites peuvent conserver de la signification.

Production écrite

Cet intérêt porté aux rapports de proportion entre l’oral et l’écrit peut se manifester de plusieurs manières ; certains enfants prononcent à voix basse les mots ou les phrases à écrire, pendant qu’ils produisent leur écrit ; certains, au cours de leur production écrite, s’arrêtent, semblent évaluer où Ils en sont, comptent parfois les graphies déjà disposées, puis continuent leur production.

Au moment de produire, dans la phrase, l’un des mots précédemment dictés isolément, certains enfants vont rechercher leur production correspondant à ce mot pour la reprendre dans la phrase.

Oralisation

On note que les enfants de ce groupe oralisent en s’efforçant, pour certains, de faire coïncider le début de l’écrit et son oralisation, puis la fin, ou, pour d’autres, en segmentant l’oral pour correspondre aux parties de l’écrit. Chez ceux-ci, l’oralisation et le geste segmentent, de manière irrégulière, la production écrite. Cette segmentation est quelquefois proche de la syllabe. Mais les coupures ainsi reproduites ne correspondent pas à une unité fixe et régulière de l’oral (ni la syllabe, encore moins le phonème).

Les enfants de cette catégorie font peu d’erreurs d’attribution de l’énoncé sur l’écrit produit, en particulier sur les mots : ils transforment parfois la phrase en en conservant la signification d’ensemble.

L’écrit produit est donc une trace qui peut devenir marque spécifique, reconnaissable pendant le temps de l’activité.


Geste du doigt

Le geste du doigt s’efforce de correspondre à l’oralisation et/ou aux parties de l’écrit.

Signalement. Verbalisation

Les signalements auxquels procèdent les enfants de ce groupe sont cohérents par rapport à la place du mot demandé sur l’écrit produit.

Les verbalisations restituent la partie de l’énoncé correspondant à la partie de l’écrit montrée.

3.3. Un autre groupe d’enfants, d’effectif beaucoup plus limité dans nos échantillons francophones que ce qui est observé dans des recherches portant sur des enfants hispanophones par exemple, se sert d’une analyse syllabique au moment de l’oralisation : ce comportement est très net lors des demandes de production de mots  ; sur la phrase, d’autres critères semblent pris en compte et Interfèrent.

La segmentation que ces enfants manifestent à l’oralisation et avec le doigt correspond à une véritable syllabation, constatée tout d’abord à l’oralisation, puis cette démarche guide parfois la production écrite de l’enfant sur les demandes suivantes : une graphie est interprétée comme une syllabe (deux graphies, parfois, pour une syllabe).

La segmentation syllabée ne fait toutefois pas appel, dans cette catégorie, à une utilisation des valeurs sonores conventionnellement attachées aux lettres produites. C’est une "ordination" syllabique : l’enfant attribue à chaque graphie, dans l’ordre où il les a disposées, la valeur de la syllabe qui tient la même place dans la chaîne sonore. C’est la position de la syllabe dans le mot qui est prise en compte et non sa prononciation.

Ce sous-groupe comprend des enfants qui, notamment, réagissent, de manière significative, à la demande d’écriture du monosyllabe : modification de la quantité de graphie, temps de latence important avant décrire ou au moment de "lire". Ils semblent pris dans ce conflit bien étudié par E. Ferreiro, entre une hypothèse (qui commanderait de ne mettre qu’une graphie pour ce mot) et une hypothèse de quantité mInimale (une seule graphie ne peut suffire à "écrire" un mot).


4. Pour d’autres enfants les lettres sont là pour représenter des sons repérés dans l’énoncé : ce nouveau palier constitue l’entrée dans la phonétisation. Ces enfants tiennent alors l’écrit pour une

4- TRACE RELATIVE À l’ANALYSE PHONIQUE DE L’ÉNONCÉ

Ces enfants commencent par "écouter" ce qui est à écrire avant d’entrer dans la production proprement dite  : ils marquent un temps d’arrêt avant d’écrire. Ils procèdent à des essais d’analyse phonique du mot ou de la phrase au moment de produire leur écrit ; le plus fréquemment, ils arrivent tout d’abord à produire des valeurs sonores conventionnelles à l’initiale de certains écrits, puis ils élargissent cette capacité à d’autres sons dont ils connaissent la traduction graphique. Ils acquièrent peu à peu une capacité phonogrammique, qui leur permet de comprendre qu’un son est représenté par une unité graphique.

voir illustration fig. 13, 14 et 15 > doc p. 24

voir illustration fig. 13, 14 et 15 > doc p. 24

De plus, ils commentent souvent leur travail en indiquant qu’ils ont conscience de ce qu’écrire suppose comme compétences, compétences qu’ils n’ont pas encore pleinement. Ainsi certains diront que leur écrit ne peut pas être relu par un vrai lecteur.

Nous observons parfois, dans les tous premiers temps de ce niveau, un passage par une phase syllabée utilisant les valeurs sonores conventionnelles des lettres, le plus souvent à l’initiale tout d’abord.

D’autres enfants extraient du mot les sons qu’ils savent traduire en graphies et posent ces dernières sur le papier, sans trop se soucier de leur ordre. Parfois, pour "compléter" en quelque sorte l’écriture, ils rajouteront des graphies, comme pour remplir l’espace et sans grand souci de correspondance. D’autres pourront donner l’impression de combiner un écriture "alphabétique" (où une graphie représente une valeur phonétique) avec une écriture "syllabique" (où une graphie représente une valeur syllabique) (cro/co/dil)

Production écrite

Elle peut ne comporter que quelques lettres, si l’enfant s’en tient à n’écrire que ce dont il est sûr, ou combiner des graphies à valeur sonore conventionnelle et d’autres à valeur variable.

Oralisation

L’enfant nomme les lettres.

Geste du doigt

Le geste détaille les lettres, l’une après l’autre.

Signalement et verbalisation

Ils sont pleinement réussis lorsque l’écrit est identifiable comme un texte "complet". Sinon, l’enfant exprime l’impossibilité dans laquelle il est, du fait de son écriture Incomplète, de retrouver ce qui était demandé par l’expérimentateur.


5. Un nouveau pas est franchi lorsque les enfants traitent

5- L’ÉCRIT EN TANT QUE TRACE CODANT, DANS LE MÊME ORDRE, LA SUCCESSION DES SONS DE LA CHAÎNE ORALE

voir illustration fig. 16 et fig. 17 > doc p. 25

Les enfants de ce groupe manifestent, aux divers moments de la situation (production, oralisation, geste du doigt, ... ), leur compréhension de la correspondance graphophonémique particulière aux systèmes écrits alphabétiques. Ils peuvent se servir d’une écriture "phonétique", mais ils disposent les graphies dans une succession très proche (avec quelques inversions constatées de la succession de la chaîne sonore).

Ils progressent aussi dans l’analyse des rapports oral/écrit et commencent à différencier les diverses graphies possibles pour coder un même son. (o, au, eau, haut...)


6. Il faut encore évoquer, au moins pour mémoire, cet autre palier que constitue le fait de reconnaître

6- L’ÉCRIT EN TANT QUE TRACE CODANT DE MANIERE SPÉCIFIQUE LA CHAÎNE ORALE

De nouveaux aspects de la langue écrite sont ici traités par l’enfant, confronté au fait que le "plurisystème graphique du français" n’est pas pleinement alphabétique : l’analyse de l’oral en phonèmes (même les formes complexes sont restituées : "récréation", "j’aime") ; la reconnaissance des morphogrammes (les enfants jouent ; viens, il est temps) et logogrammes (ver, vers, vert ; vin, vain, vingt, vain) ; le respect de l’ordre des mots dans les phrases ; l’analyse des mots dans les phrases qui conduit à leur séparation,... En bref, c’est la rencontre de l’orthographe, de la "grammaticalisation"...


7. Il y a lieu également de distinguer le moment où l’écrit est compris

7- EN TANT QUE TEXTE REPRÉSENTÉ ET COMMUNIQUÉ SELON DES FORMES CULTURELLES DONNÉES

Au cours de cette autre étape, l’enfant rencontre de nouvelles conventions. Ainsi, la maîtrise des formes sociales de l’énonciation écrite se manifeste par le respect des modalités propres de chaque type de communication écrite (la lettre, la carte postale, la recette, la description, le récit, les consignes, le dialogue...).

Dans une de mes écoles maternelles