La première chose qu’un tout petit bébé perçoit dans un visage, ce sont les yeux. Si le visage n’en a pas, il est déstabilisé. Si sa maman ne le regarde pas, il ne va pas bien se développer.
Un visage sans yeux est traumatisant non seulement pour le nouveau-né mais pour toute personne parce que celle-ci, quel que soit son âge, garde les empreintes de ses premiers contacts humains, de ses structures fondamentales engrammées dans ses cellules nerveuses.
En neurophysiologie, l’engramme est la trace de la mémoire laissée dans le cerveau à la suite d’un évènement passé ou d’une expérience vécue et qui serait susceptible d’être réactivé par une stimulation appropriée.
Petit détour sur la compétence des nouveau-nés
"Dès la naissance, les nourrissons sont intéressés par les visages et préfèrent regarder un visage plutôt que tout autre chose. Cette attirance vers les visages va leur permettre d’établir leurs premiers liens avec leur entourage."
"Cette capacité à identifier les émotions sur le visage des autres (surtout les yeux et la bouche) est essentielle pour le bébé car elle lui permet de mieux comprendre le monde qui l’entoure ainsi que ses propres sentiments et émotions."
Quel que soit notre âge, et que nous en soyons conscients ou non, la perception d’un ensemble de personnes, comme l’est une crèche, va éveiller des couches profondes de notre cerveau, provoquant le bien être ou le malaise, l’adhésion ou le rejet.
"La reconnaissance des visages est un élément clé du développement social et émotionnel du bébé. Effectivement, il s’agit d’une compétence fondamentale qui permet au nourrisson de forger des liens affectifs avec son entourage familial proche."
"Dès les premières semaines de vie, le nourrisson commence à explorer son environnement visuel et à différencier certains objets, formes et couleurs. C’est ainsi qu’il apprend petit à petit à distinguer les contours des visages humains des autres formes géométriques." [1]
Comment le nouveau-né perçoit-il les visages ?
La première chose que l’on peut affirmer, c’est que dès la naissance, le bébé est intéressé par les visages, et qu’il préfère regarder un visage plutôt qu’un autre objet. Cette attirance vers les visages va jouer un rôle très important puisqu’elle va permettre d’établir les premiers liens du bébé avec son entourage.
Le regard joue un rôle très important dans l’intérêt que le nouveau-né porte vers les visages. Les yeux sont les éléments les plus regardés et le bébé préfère les visages ayant les yeux ouverts. Le nouveau-né préfère également un visage dans lequel les yeux sont dirigés vers lui plutôt que détournés.
Parmi tous les objets qui l’entourent, ce sont certainement les visages qui intéressent le plus le nouveau-né. Tous les visages ont la même structure (même position des yeux, du nez, de la bouche) mais chaque visage est unique. Durant les quelques jours passés à la maternité, un nouveau-né a eu l’occasion de voir entre 6 et 15 visages. Cette expérience est suffisante pour créer le "prototype" du visage humain.
Préfèrent-t-ils regarder des visages de leur propre groupe ethnique ?
À la naissance, les bébés n’ont pas de préférence pour leur propre groupe ethnique alors qu’à 3 mois, ils ont une préférence pour des visages de leur propre ethnie par rapport aux visages d’autres ethnies. Les visages auxquels le bébé sera confronté dans les débuts de sa vie auront une influence sur la représentation que le bébé se fera des visages. Les préférences observées pour le groupe ethnique à trois mois se retrouvent pour le genre.
Les recherches ont montré que les bébés sont particulièrement sensibles aux expressions faciales dès leur plus jeune âge. Par exemple, ils sont capables de distinguer les sourires des grimaces et réagissent différemment en fonction de la nature de l’expression observée.
Une étude [2] démontre donc une capacité précoce des nouveau-nés humains à discriminer un regard direct ou distrait, indépendamment d’un effet de contraste dans la région des yeux. Elle confirme aussi l’importance du contexte social pour stimuler et révéler une telle capacité.
Déstabiliser et faire réfléchir
Les interactions sociales et les capacités perceptuelles précoces influencent le développement de la cognition sociale.
Cette sensibilité précoce, combinée aux expériences sociales directes, constitue une base importante pour le développement de compétences comme la capacité à distinguer l’état attentionnel de l’interlocuteur.
Revenons à notre crèche.
Quel que soit notre âge, et que nous en soyons conscients ou non, la perception d’un ensemble de personnes, comme l’est une crèche, va éveiller des couches profondes de notre cerveau, provoquant le bien-être ou le malaise, l’adhésion ou le rejet.
Si le but de la crèche en question est de nous déstabiliser pour nous faire réfléchir à la problématique du rejet de certaines catégories de notre société, c’est réussi. Cela peut en effet stimuler notre réflexion, et nous pousser éventuellement à agir, à changer notre façon de voir et de gérer nos interactions sociales. Le débat sociétal en cours en porte témoignage.
Cependant, pour accepter d’être déstabilisé, il faut des conditions préalables. J’ai envie de dire que c’est sur un fond de sécurité affective qu’on peut plus facilement accepter d’être secoué. Si on est déjà d’avance dans une certaine insécurité, un malaise, des contradictions, des tensions ou des incertitudes, il est probable qu’on va se trouver trop haut dans notre" échelle de stress" et qu’on va activer du rejet ou du déni pour garder notre équilibre interne.
L’artiste, auteure de la crèche, n’a peut-être pas assez mesuré et pris en compte ces éléments affectifs.
La solution me paraît simple : les visages en patchwork n’empêchent pas d’y marquer les yeux (et éventuellement la bouche), ce qui n’enlève rien à la symbolique des visages mélangés. Cela sera plus rassurant pour les petits enfants que nous sommes restés dans un coin de nos cerveaux anciens.