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A propos de feed-back (Jérôme Brunner)

Voici, accompagné d’un commentaire personnel, un petit texte de Jérôme Brunner qui m’a beaucoup inspiré tant il correspond à une série d’activités, animations, démarches, réflexions que j’ai menées dans mon travail avec les puéricultrices, les enseignantes maternelles, mais qui concerne aussi le primaire, les parents, les éducateurs et les psychologues.

Il est utile aussi pour une réflexion sur l’évaluation.

"Pour que naisse un savoir-faire précoce, il faut qu’il y ait mise en oeuvre initiale d’une intention, définition d’un objectif final et indication minimale des moyens. l’intention mise en oeuvre déclenche des actes constitutifs organisés entre eux de manière rudimentaire en vue d’un état final souhaité avec, souvent, préadaptation de la configuration d’organisation initiale. l’information en retour réorganise les configurations initiales grossières de sorte qu’il y ait réduction de la capacité d’attention requise. Ceci permet une analyse plus précise de la tâche et la construction d’une action dirigée plus élaborée à partir de séquences préalablement structurées qui s’organisent maintenant en activité de plus haut rang".

"Le jeu et la démonstration par l’exemple jouent un rôle dans l’organisation des constituants qui permet la réalisation de la tâche".

J. Brunner
L’organisation des premiers savoirs faire (première publication 1973). in Savoir faire, savoir dire. PUF, p.87

COMMENTAIRE

Ce que Jérôme Brunner décrit pour le tout petit enfant n’est-il pas généralisable aux apprentissages ultérieurs ?

Pour que s’acquière un nouveau savoir-faire, dit-il, l’intention, dès sa mise en oeuvre, déclenche une sorte d’approximation rudimentaire qui n’est possible que si l’on postule une image mentale des gestes ou des opérations qui seront nécessaires pour obtenir le résultat escompté.

Au cours de l’action et à la fin, des informations perçues (visuellement, auditivement, kinesthésiquement, gustativement, olfactivement...) vont permettre un ajustement des gestes et opérations, ou de leur succession dans le temps en séquences de plus en plus correcte en vue de l’objectif.

La "configuration" (ensemble visuel et kinesthésique par exemple) qui était rudimentaire au départ, s’affine et s’automatise. Elle exige donc moins d’attention et libère le cerveau, rendu disponible pour analyser plus finement la tâche, les gestes, la "configuration" et pour créer une organisation mieux structurée de la séquence qui devient rapidement une action de haute qualité.

Exemple : enfiler ses chaussettes ou attacher ses lacets, mettre son anorak, et puis apprendre le vélo, le roller ou la planche à voile... Et puis utiliser un traitement de texte, un tableur...

Dès la première année, "l’enfant en vient rapidement à résoudre des problèmes extrêmement complexes et y parvient dans des circonstances de contacts avec son environnement". Mais ces contacts ne suffisent pas à rendre compte de la rapidité des acquisitions. Brunner postule donc l’existence d’une préadaptation - des instructions génétiques - qui sont extrêmement souples et sont constituées des premières "configurations de l’action". Celles-ci émergent au cours et dans la mise en oeuvre et deviennent les constituants de nouvelles structures d’action (inventées cette fois et construites par l’enfant) de plus en plus complexes.

Cependant, si l’enfant n’est pas placé dans une situation d’interaction avec son environnement, il n’y aura pas de possibilité de mise en oeuvre et rien n’émergera ou seulement des bribes inorganisées et inutilisables.
Henri Wallon, en outre, insiste sur la dimension relationnelle : il faut à tout apprentissage une « résonance sociale » comme dit Seymour Papert, quelqu’un qui est là , témoin (silencieux, pas besoin de commentaire) de ce qui se passe.

Trois composantes sont à considérer :
 l’intention
 l’information en retour
 les schémas d’action assurant la médiation entre les deux premières.

Brunner signale que l’information en retour (feedback) est moins simple qu’on ne le pense souvent et présente au moins trois formes :
1. - le feedback interne qui signale, dans le système nerveux, une intentionnalité d’action. C’est un feedback prospectif, en quelque sorte, qui apparait sous forme d’évocations, de représentations mentales sensori-motrices avant l’action manifeste (vision)
2. - le feedback proprement dit provenant du système nerveux effecteur en cours d’action. (kinesthésique surtout)
3. - la connaissance des résultats, qui n’est possible qu’après que l’action soit terminée.

Même au niveau le plus élémentaire, comme par exemple dans la compensation de posture chez le bébé, il est impossible d’imaginer l’action orientée sans un ajustement précédant l’action, une sorte de correction préalable du geste par l’intention, par une évocation de l’effet recherché. C’est ce que Gregory Bateson décrit dans le mécanisme de la "calibration" (tir au pistolet) dans "La nature et la pensée (par opposition au tir au fusil qui offre la possibilité d’un « ajustement » préalable).

Tout ceci a des conséquences importantes pour la pédagogie.

S’il y a trois formes de feedback, il peut être utile de diversifier davantage le travail d’auto-évaluation : pas seulement en fonction du résultat final, mais aussi en cours de route, selon ce que nous apprend la façon même dont on met en place et dont on assemble les tâches en vue du résultat. Un bon exemple est celui du sauteur en longueur qui sait déjà pendant qu’il prend son élan, s’il va mordre sur la planche et même si son saut sera bon ou mauvais. Le joueur de basket qui tire un coup franc sait, avant l’arrivée du ballon dans le panier, s’il a réussi ou non, d’après l’agencement de ses gestes, postures, force déployée, tension musculaire, etc. L’exercice qui consiste à fermer les yeux au moment de lancer le ballon dans le panier, après avoir pris le temps de bien viser, amène parait-il un taux de réussite surprenant. (Cf. l’art du tir à l’arc)

On peut ajouter une prise en considération de la construction prospective que l’enfant fait de l’action à mener : quelle image s’en fait-il ? quelle représentation du résultat ? comment sent-il que les choses vont se dérouler ? (évocation visuelle, auditive, kinesthésique, dialogue intérieur) En construisant un modèle en Lego, il peut se dire "si je mets ce bloc juste après celui-là, je vais avoir des difficultés à mettre ensuite celui-là. Donc il faut que je mette d’abord ceci et ensuite cela ... "

Dès qu’un ensemble d’assemblages est devenu routinier, il y a des séquences de mots ou de phrases toutes faites déjà toutes prêtes dans sa tête, inscrites dans sa structure cérébrale, et il peut consacrer son attention à des objectifs plus complexes, nécessitant des assemblages ou des agencements d’assemblages plus compliqués. (Des « routines », comme dans un programme informatique, qui deviennent des « cerveaux-mécanismes » comme dit Jean Lerminiaux).

On peut imaginer des processus similaires pour l’enfant qui produit des textes. Dès qu’un ensemble de mots s’agence sans qu’il doive y faire trop attention, il va pouvoir se consacrer à assembler des morceaux de phrases de plus en plus élaborés, et faire mieux coller ce qu’il écrit avec ce qu’il veut dire.

Le résultat final lui apporte les informations les plus fortes. La satisfaction du résultat sera d’ailleurs importante pour lui. Mais les informations qu’il a perçues tout au long du processus d’écriture seront tout aussi importantes pour ses progrès futurs. La satisfaction de l’écriture en train de se faire peut-être encore plus grande que celle du produit fini, comme cela se passe en général pour le bricolage, la peinture, la construction d’une maquette ...

Respecter ce plaisir de l’oeuvre en train de se faire, ce plaisir de la recherche tâtonnante, ce jeu du feedback présent à chaque instant du travail qui s’élabore, c’est peut-être un des plus beaux cadeaux que peut faire l’enseignant à l’élève.

Michel Simonis