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Tous capables ou tous excellents ?

« Est-il possible d’imaginer une action pédagogique qui n’engendrerait aucune hiérarchie ? » (André RAFFESTIN à propos d’un livre de Philippe Perrenoud)

Le concept d’excellence interroge le « tous capables » de l’Education nouvelle.
En effet, on peut se demander si « tous capables » signifie en fait quelque chose par rapport à l’excellence des apprenants.
On voit que cela dépend d’abord du sens qu’on donne à l’excellence, autrement dit du contexte dans lequel il est utilisé.
Il ressort du travail de Philippe Perrenoud que de toute façon, l’excellence est une construction : elle se fabrique, au quotidien, par un grand nombre de petites actions des enseignants, des élèves, des parents, des institutions scolaires.
Il n’est pas inintéressant de réfléchir, comme dans un « Pacte pour une école de l’excellence » aux divers moyens de promouvoir cette excellence, sans toutefois ignorer que ce qui se passe réellement sera différent des consignes données par les responsables de l’enseignement.

Certes, d’une part, je crois à l’effet d’entrainement que peut constituer l’explicitation claire d’objectifs (le « curriculum1 formel » et le « curriculum prescrit » dont parle Philippe Perrnoud), ce qui a constitué chez nous en Belgique francophone le « décret ‘Missions’ » : « une définition du sens, des valeurs, des objectifs de l’enseignement et des missions de l’école. »

Voici ce qu’en dit le « Pacte » :

« Le décret « Missions » date de 1997. En 17 ans, la société a changé, les générations, les élèves et les familles ont évolué, les exigences de la société se sont renforcées, la mondialisation s’est amplifiée, les réseaux sociaux et internet ont révolutionné le monde de l’accès au savoir et de la communication.

Il est opportun de se poser la question du sens de l’enseignement que nous devons offrir en 2015, et dans les 20 années qui viennent, des fondements et principes qui doivent l’animer, de ses objectifs en termes de savoirs, de compétences, de nouvelles transversalités des disciplines contraires à l’hyperspécialisation, de nouveaux liens entre culture et sciences dans une société où le savoir est accessible en profusion via le web et qui se construit de plus en plus sur l’autonomisation, la responsabilisation et la créativité de ses citoyens.

Il est opportun de réfléchir aux nouvelles missions éducatives diverses de l’école et, derrière elles, des valeurs à offrir ou renforcer. Il est nécessaire de s’interroger sur la place à donner, comme le suggère Edgar Morin (Enseigner à vivre. Manifeste pour changer l’éducation, Actes Sud) sur la nécessité d’enseigner à connaître la connaissance, d’enseigner la compréhension humaine, la liberté de penser et l’autonomie et le décloisonnement des savoirs.
Le socle des valeurs communes et le respect de l’autre et de sa différence seront immanquablement des axes à valoriser. »

Effet d’entraînement ?

« Les résultats de recherche relatifs au projet « Décolâge » (un projet de réforme participatif et adaptatif qui vise à transformer les pratiques pédagogiques vers une école inclusive dans le cycle 5-8 ans et au-delà) montrent non seulement un déplacement des représentations des enseignants participants envers le redoublement et la différenciation, mais également l’appropriation par les équipes enseignantes des outils proposés dans le cadre de la réforme (outils, pistes méthodologiques). »

Il me semble donc que la redéfinition des objectifs a un sens et une utilité.
Mais d’autre part, elle n’enlève rien aux « inégalités de culture, d’éducation, d’intelligence de départ » dont parle Philippe Perrenoud, et à partir desquelles il va chercher « comment l’école transforme des différences sociales en inégalités. »

C’est donc dans cet interstice entre les inégalités de départ et les positionnements scolaires à l’arrivée, que pourront prendre place les pratiques et les partis pris de l’Education nouvelle. En fait, il me semble que si j’ai toujours en vue la question de l’égalité (si, comme aujourd’hui, la perspective de l’égalité sociale s’est éloignée, comment la favoriser malgré tout au sein de l’école) et de l’émancipation (j’y inclus le droit de chacun d’agir selon sa culture (la liberté), dans et par l’apprentissage de la coopération par la coopération mise en oeuvre (la fraternité), et si je pratique l’auto-socio-construction, mon agir quotidien pourra-t-il être une « fabrique d’excellence scolaire non hiérarchique » ?

Si en outre, l’école est imprégnée de cette même vision, suffisamment forte pour résister à la pression de ceux des parents qui voudront en faire un école de l’excellence de caractère élitiste visant les meilleures « performances » possible pour leurs enfants, on peut imaginer le développement de lieux scolaires alternatifs, favorisant, comme voudrait le définir le « Pacte d’excellence » en consultation en Belgique francophone, « Un enseignement obligatoire de qualité qui constitue, un levier clé à la fois pour assurer une citoyenneté respectueuse de la collectivité et des autres, pour lutter contre la pauvreté et les inégalités, mais aussi pour accroître la santé, renforcer la protection sociale et diminuer l’insécurité », qui tienne compte aussi d’une « La notion d’excellence et de qualité qui relève d’une ambition collective pour chaque élève, pour la réussite de chaque élève quel qu’il soit, avec une priorité pour ceux qui ont le plus de difficultés, en vue notamment de remédier aux problèmes d’équité que connait notre enseignement. »

Le texte du « Pacte d’excellence » continue :

« Il ne s’agit pas d’une démarche élitiste. Il s’agit d’offrir à chaque jeune un enseignement de qualité maximale, adapté à ses besoins, selon ses spécificités, qui lui permette d’aller au maximum de ses capacités et d’atteindre ou de dépasser les objectifs des apprentissages attendus, d’éviter les échecs, le redoublement, le décrochage. Notre vision du Pacte est inclusive et non exclusive. »

« Notre objectif est notamment de connaître et reconnaître les différences individuelles ; de s’assurer du progrès de chaque élève ; de viser la réussite de tous sans nivellement par le bas ; de tirer chacun vers le haut, selon ses propres possibilités, de reconnaitre les forces de chacun et les mettre en valeur ; de proposer, dans la classe et dans l’école, des remédiations ou des différenciations adaptées aux besoins spécifiques de chaque élève ; de développer et de s’appuyer sur les capacités propres à chaque enfant, dans le respect de la différence et du handicap. Notre objectif est notamment de rendre l’élève plus acteur de son apprentissage et de tenir plus compte des interactions entre émotions, motivation et cognition. Il est aussi d’investir dans la qualité des apprentissages dès le plus jeune âge et notamment dans la période de 3 à 6 ans et l’enseignement maternel déterminant pour la suite de son évolution. »

A lire ce qui précède, il m’apparait que dans ce contexte - dont on peut reconnaître le bien fondé - l’apport de l’Education nouvelle serait de donner les outils et d’offrir les formations permettant de passer de l’objectif rêvé à la réalité quotidienne.

Pour en arriver à l’excellence sur le terrain, le noyau dur est bien entendu l’évaluation.
Sans entrer ici dans le détail de l’évaluation dans le cadre de l’Education nouvelle,
j’indique seulement la ligne de conduite qui me parait la plus propice pour envisager une « excellence équitable », une excellence partagée par tous et pour tous, en reprenant un texte de Olivier Rey et Annie Feyfant Chargés d’étude et de recherche au service Veille et Analyses de l’Institut français de l’Éducation (IFÉ) : Evaluer pour (mieux) faire apprendre, Dossier de veille de l’IFÉ • n° 94 • Septembre 2014) :

L’une des pistes privilégiées consiste à briser le lien descendant et hiérarchique de l’évaluation du maître vers l’élève, pour rendre ce dernier acteur de son évaluation. Dans une perspective d’engagement des élèves, « l’autoévaluation, par conséquent, n’est pas qu’une pratique d’évaluation ; c’est aussi une activité d’apprentissage. C’est une manière d’encourager les élèves à réfléchir sur ce qu’ils ont appris, à chercher les moyens d’améliorer leur apprentissage, et à planifier ce qui leur permettra de progresser en tant qu’apprenants et d’atteindre leurs objectifs. [...] En tant que telle, elle comprend des compétences en termes de gestion du temps, de négociation, de communication – avec les enseignants et avec les pairs – et d’autodiscipline, en plus de la réflexivité, de l’esprit critique et de l’évaluation » (Broadfoot, 2007).

« L’auto-évaluation est en effet souvent liée avec l’évaluation collective ou coopérative. D’après Black et Wiliam, l’évaluation entre pairs peut favoriser la construction de cette vue d’ensemble en offrant un cadre stimulant pour introduire l’auto-évaluation : elle « contribue à dynamiser le cadre d’apprentissage, aide les élèves à développer leurs aptitudes sociales, et les prépare à l’auto-évaluation » (CERI, 2005).

« Les interactions verbales entre élèves autorisent des critiques différentes de celles de l’enseignant et formulées dans une langue naturellement plus usuelle, même si les élèves jouent à endosser le rôle de l’enseignant. Les élèves peuvent plus facilement identifier les obstacles et les solutions en suivant le raisonnement de leurs pairs que celui de l’enseignant. Il semble que les élèves s’approprient plus facilement les critères d’évaluation en examinant un travail qui n’est pas le leur. Dans une perspective d’évaluation des compétences du XXIe siècle, le travail coopératif est, faut-il le rappeler, une dimension essentielle : susciter des activités collectives dans un domaine aussi crucial est une façon d’habituer les élèves à travailler ensemble dans un secteur qui semble spontanément marqué par la compétition individuelle (Pepper, 2013). Enfin, le travail entre pairs constitue un vecteur d’introduction d’éléments de différenciation pédagogique dans le contexte de la classe : les élèves qui ont compris un problème peuvent tenter de l’expliquer avec d’autres qui rencontrent des difficultés, pendant que l’enseignant se concentre sur des blocages particuliers. »

Voilà donc une petite incursion sur le terrain concret de l’activité d’évaluation en classe, une évaluation qui est de nature à éviter la création de hiérarchie d’excellence et, peut-être une culture du « tous excellents »

Michel Simonis
7 février 2015