Ce texte, retravaillé d’après une conférence faite à Bruxelles par Madame Jean Houston, et publiée (2) par Multiversité (Association de formation créée par Michel Katzeff) a inspiré mon travail depuis que j’en ai eu connaissance, il y a vingt ans. Ne trouvez-vous pas qu’il a gardé toute son actualité et toute sa fraîcheur ?
“Il semble que l’enfant qui n’a pas accès à un programme où l’éducation artistique est fortement présente est systématiquement privé de nombreux modes de croissance par lesquels Il peut percevoir, découvrir et définir son univers.” (Jean Houston (1980)
Lorsque les enfants manipulent toute une gamme de matériaux et expriment leurs idées à travers des expériences artistiques, leurs émotions, leur corps et leur esprit sont impliqués simultanément dans un processus d’apprentissage plus global. Dans ses activités artistiques, que ce soit avec de la peinture, des collages, l’argile ou le papier mâché, l’enfant approfondit sa compréhension conceptuelle du monde. Il réagit, juge, modifie, évalue, et déploie son intelligence. Il apprend de manière plus profonde et plus harmonieuse.
Quand elles incorporent des activités artistiques dans leurs programmes scolaires, les écoles aident les enfants à mieux utiliser leurs possibilités perceptives et motrices, ce qui favorise leur esprit d’initiative dans de multiples domaines. Ils développent naturellement leur confiance en eux. Ce qui améliore à la fois le fonctionnement du cerveau, du corps et du comportement.
Les difficultés de l’éducation aujourd’hui dominante viennent de ce qu’une seule part de l’être humain est développée, au détriment des autres. Une grande partie des aptitudes potentiellement présente chez chaque enfant. est négligée. Il est des sources de connaissance profonde dont nous avons besoin dans notre vie que nous n’avons pas développées et des facultés réceptives capables de traiter une grande quantité d’informations que nous n’avons pas éduquées.
Il est urgent de nous soucier de former des personnes qui auront un meilleur accès à leurs propres aptitudes et à leurs propres potentiels, qui pourront répondre plus efficacement aux défis du futur, qui seront capables de mobiliser et de développer une partie beaucoup plus importante de l’être corps/esprit/coeur qu’ils sont.
Dans l’éducation traditionnelle, nous avons favorisé un seul mode humain de connaissance, la rationalité, donnant du même coup la priorité aux processus verbaux et analytiques dans le fonctionnement de la pensée et dans l’acquisition du savoir. L’approche rationnelle est devenue la démarche par excellence sur tous les plans de la connaissance. Il en résulte une négligence excessive d’autres modalités d’éducation et de vie, par lesquelles l’individu peut apprendre avec son corps, son cerveau, son intelligence bien au-delà des frontières que l’on imagine normales, actuellement.
En outre, l’option éducative traditionnelle est fondée sur l’angoisse de l’échec. La peur de rater, inculquée à l’enfant, fait qu’il est devenu très difficile pour lui d’explorer et d’utiliser d’autres niveaux que la logique rationnelle et de s’y fier. A force d’avoir privilégié les "savoir à propos de...",, on a perdu l’art du "savoir" tout court, où l’on apprend beaucoup plus par l’expérience, par l’empathie, par les émotions, par la joie, par la souffrance, le mouvement, la danse, les sensations, l’activité, et par tout l’échange créatif entre le monde extérieur et le monde intérieur.
Dans la plupart des méthodes scolaires actuelles, l’attention prépondérante donnée à l’intellect et au processus verbal a abouti à la suprématie de la parole et de l’écriture, l’une et l’autre fort éloignée de notre expérience spontanée. Nos enfants, comme nous-mêmes, avons dès lors peu l’occasion de nous occuper de tout ce qui relève de la conception, de la planification, de la configuration, de la modélisation, de la construction, de la recherche de la solution des problèmes de vie et - surtout - de l’imagination de solutions alternatives.
Tous ces processus, essentiels dans les diverses expériences artistiques, sont la racine même d’où jaillissent et se développent nos capacités fondamentales. Ils sont le fondement de tout ce que nous entreprenons dans notre vie quotidienne.
Il semble que l’enfant qui n’a pas accès à un programme où l’éducation artistique est fortement présente est systématiquement privé de nombreux modes de croissance par lesquels Il peut percevoir, découvrir et définir son univers.
Il est fort probable qu’une partie de son cerveau soit sous-développé faute d’activité. Ses aptitudes sensorielles perceptives ainsi que de nombreuses autres aptitudes humaines (l’imagination, l’affectivité, l’aptitude à percevoir de façon globale les images, les sons, les sensations, etc.) et ses autres niveaux de conscience sont laissés en friche et se détériorent faute d’utilisation. Sous de multiples aspects, l’enfant est déséduqué.
On pourrait dire autrement : prenez un arbre. Enlevez toutes ses racines à l’exception d’une seule. Il survivra, mais... se portera-t-il bien ?
Pourquoi toute cette richesse exploratoire disparaît-elle le plus souvent dès l’école primaire ?
Pourtant, le fait d’être encouragé à utiliser tous ses sens, ce qui lui permet de développer ces sens, se répercute dans des activités de tout genre, même dans les plus abstraites. Le corps et l’esprit ne sont pas séparés, pas plus que les pensées et les émotions. Tout cela procure à la mémoire une base sensorielle et émotive très riche. La pensée est bien enracinée. La matière abstraite peut être apprise rapidement, parce que l’enfant est capable d’employer beaucoup plus de modes sensoriels différent lorsqu’il doit acquérir des connaissances. Il dispose en quelque sorte d’un plus grand nombre de "crochets" auxquels "rattacher" ses informations nouvelles.
Dans ces programmes d’études d’inspiration artistique, l’enfant travaille avec un large éventail de symboles. Ces symboles deviennent naturels et familiers, partie intégrante de son expérience créatrice. Cette familiarité augmente son aptitude à comprendre et plus tard à utiliser les symboles abstraits du langage et des mathématiques.
On peut apprendre à l’enfant à penser en images aussi bien qu’en mots, à penser avec son corps tout entier, à apprendre selon des schémas rythmiques, à utiliser des moyens kinesthésiques dans l’orthographe et dans les maths, bref à acquérir ses bases scolaires à partir d’un éventail beaucoup plus large de possibilités sensorielles et cognitive. L’enfant qui éprouve des difficultés dans une voie déterminée peut être conduit à apprendre sur un autre mode, notamment sur le mode des aptitudes sensori-motrices, qui lui permettront d’apprendre plus aisément et plus rapidement.
L’enfant y puisera aussi une meilleure image de lui-même ainsi qu’une attitude plus sensible et plus éclairée face à sa responsabilité à l’égard d’autrui. Il acquiert spontanément le respect des autres, dans et pour leur différence. Une confiance réciproque se développe.
Pour la suite, voir Linda Williams, les différents systèmes sensoriels