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Intelligence et attitude devant la vie

Introduction à un article d’Actualités en Analyse Transactionnelle (1981)

(Voir, mais protégé par mot de passe)

Sans jamais me considérer comme psychométricien, j’ai baigné pendant 30 ans dans le bouillon de culture des test d’intelligence.

Binet, à l’orée du 20ème siècle, a estimé nécessaire de mesurer l’intelligence des écoliers.

Laissons de côté le pourquoi. C’est un autre débat, qui n’est d’ailleurs pas clos.

Je laisse aussi de côté le comment, sauf à dire que le travail de Binet et Simon, repris par Wechler avec les WISC successives, se basait sur une norme, une standardisation, censée définir le niveau moyen d’intelligence à chaque âge et consistait en sous-tests (d’une part verbaux - permettant une approche de l’intelligence verbale, et d’autre part non-verbaux - permettant une approche de l’intelligence dites de performance).

Qu’est-ce que l’intelligence ? On connait la boutade de Binet disant qu’il n’en savait rien sauf que l’intelligence c’est ce que mesure son test.

Depuis les versions successives de la WISC, de nouveaux outils ont fait leur apparition, plus subtils, permettant d’approcher le comment l’enfant pense, tandis que se développaient les concepts d’intelligence multiple (une dizaine de formes différentes d’intelligence) et d’intelligence émotionnelle. On commence maintenant à envisager le cerveau abdominal, les viscères, comme une source de commandes cérébrales, une nouvelle source d’intelligence.

Dans les années ’80, le Docteur Jean Lerminiaux, pédopsychiatre et psychanalyste, avait développé une réflexion et une pratique passionnante de la WISC comme porte d’entrée dans la dynamique de personnalité de l’enfant.

Il n’avait pas tardé à être rejoint par la PNL avec concept de structure profonde et de structure de surface. Les mots, mais aussi les gestes, les mimiques, les attitudes corporelles constituent un chemin royal pour découvrir et comprendre comment chacun a construit et organisé ses "cartes mentales", son univers mental, son image du monde.

La façon dont un enfant se positionne et réagit aux questions d’un test d’intelligence comme la WISC permet d’élaborer des hypothèses stimulantes sur la façon dont il aborde la vie, et en particulier les problèmes de la vie quotidienne.

Les questions (items) des tests d’intelligence sont conçues comme autant de mises en situation problématiques permettant d’observer les réactions de l’enfant.

Ce qu’on fait aussi en Education nouvelle, d’ailleurs, non pour mettre à l’épreuve mais pour permettre à l’enfant de prouver ce qu’il sait, ce qu’il sait faire et l’inciter à se mettre en route, avec d’autres, pour le faire.

C’est dans ce sens que j’ai pratiqué cette façon de me servir des tests durant ma carrière de psychologue (bien avant de connaître l’Education nouvelle !) : mettre en valeur les potentialités de l’enfant aux yeux des instituteurs parfois sceptiques, déçus voire désespérés. D’où cet intérêt constant des enseignants pour en savoir plus sur ces tests un peu magiques !

Magie, pour une équipe pédagogique de l’enseignement spécialisé, de découvrir, à travers les cotes de la WISC, non le pourquoi mais le comment "votre fille est muette" !

Mais en tant qu’Analyste transactionnel, en me basant sur le travail de Jean Lerminiaux, j’ai utilisé les cotes de la WISC (sans me soucier le moins du monde d’un niveau intellectuel supposé) comme source de réflexion sur le scénario de vie de l’enfant.

En Analyse Transactionnelle, on a coutume de dire que chacun s’est construit - à travers les messages reçus dans son éducation - messages de permission et messages inhibiteurs - un scénario qui oriente ses choix, ses réactions, son être au monde, ses relations, ses potentialités affectives, cognitives, corporelles...

A l’époque, la simplification efficace made in USA avait résumé le scénario en une douzaine de messages positifs (permissions) et négatifs (inhibitions).J’au utilisé cet outil performant, pratique et efficace en psychothérapie : il permettait d’aider les personnes à changer leur scénario - à "sortir" peu à peu de leur scénario, surtout quand on pouvait remonter à la source transgénérationnelle des messages et comprendre leur ancienne utilité et leur fonction actuelle. Je suppose que quelques décennies plus tard, l’outil continue à faire son chemin et à évoluer.

En tout cas, à l’époque, on était en 1981, j’ai écrit dans la revue "Actualité en Analyse transactionnelle" un article intitulé "Intelligence et scénario" faisant le lien entre les échelles d’intelligence de Wechsler, l’approche de Jean Lerminiaux et les scénarios de vie de l’AT.

Qu’en reste-t-il 35 ans plus tard ?

Je souligne quelques points.

  1. On peut faire l’impasse sur les messages de scénarios (parce qu’ils parlent surtout aux cliniciens de l’Analyse Transactionnelle) et en revenir à la dynamique des attitudes de vie.
  2. On peut retenir que l’intérêt n’est pas le niveau des résultats obtenus, les performances, mais les écarts. Non pas les écarts par rapport à la moyenne des enfants de même âge, mais les écarts par rapport à la moyenne personnelle de l’enfant lui-même, et surtout les écarts entre les cotes extrêmes obtenues.
  3. On retiendra que l’important est la signification, pas le résultat. Comme avec l’Education nouvelle, ou la neuro-pédagogie du mandala, on s’attachera plus au processus qu’au résultat final. Ce qui s’est construit est plus important que le produit fini.
  4. A retenir aussi le fait que l’édifice tient debout parce qu’il se fonde sur une base normalisée. Sans cette normalisation statistique et cette standardisation, aucune déduction fiable ne peut être faite.

J’insiste, parce que dans un livre qui met en jeu la référence au chiffre, j’aime être un peu provocateur et affirmer que l’analyse statistique (objective voire objectivante) est un outil incontournable. C’est seulement à partir de cet étayage rigoureux qu’on peut commencer à envisager des hypothèses. Celles-ci redeviennent subjectives, bien sûr, émises comme suggestions stimulantes, intuitions, cheminement à vérifier, mais elles ont un fondement objectif.

Aucun écrivain ne peut écrire sans avoir accepté de se plier à l’apprentissage rigoureux des lettres et de l’écriture. C’est seulement après avoir accepté ce code normalisé qu’il peut s’en affranchir.

Je dis qu’il en est de même de la compréhension interpersonnelle. Celui qui veut agir sur le monde doit savoir comment le monde fonctionne. Celui qui veut agir sur son intelligence et sur celle des autres doit commencer par savoir commet l’intelligence fonctionne en général, la sienne et celle de l’enfant qu’il a devant lui.

"Connaître John" :

"chercher inlassablement, dans ce que l’élève sait déjà et est déjà, des points d’appui pour articuler en lui de nouveaux savoirs et lui offrir de nouvelles perspectives". Cela suffit très largement à justifier la fonction pédagogique et le caractère particulièrement fécond de l’affirmation : "pour enseigner les mathématiques à John, il faut connaître John tout autant que les mathématiques".(Philippe Meirieu)

A côté d’une connaissance intuitive spontanée, il y a une connaissance scientifique, objectivable et reproductible, basée sur l’analyse chiffrée, statistique.

N’en déplaise à ceux qui balancent toutes les notations aux orties et notamment les test d’intelligence, je persiste à justifier un usage raisonné, "intelligent" de ces tests, dans la mesure (!) où l’utilisation d’un outil rigoureux - je le redis - standardisé, objectif, de mesure, peu importe ici les raisons qui ont justifié leur élaboration, permet d’en extraire des informations utiles pour l’action éducative, la rééducation et la psychothérapie.

A noter au passage qu’on peut justifier l’hostilité aux notations scolaires par le fait qu’elle ne sont habituellement étayées en aucune façon par une analyse statistique comme le sont les tests normalisés.

Je clos cette digression par une réflexion de Philippe Meirieu.

"Nous devons accepter le fait qu’aussi précise soit notre observation, aussi complète soit notre collecte de faits, nous n’atteindrons pas plus l’intention qui leur a donné naissance que nous ne pourrions, comme le rappelle SARTRE, "obtenir l’unité en entassant des 9 à la droite de 0,99".

Comment concilier la nécessité de connaître nos élèves avec l’impératif éthique du non-savoir qui nous permet de respecter en eux un Autre irréductiblement autre, une liberté en puissance ?

Certes, on peut concevoir - et je le crois largement - qu’à partir du moment où l’enseignant ne cherche pas à connaître l’élève de l’extérieur, mais implique l’élève lui-même dans cette recherche et le met en situation de réfléchir sur ses apprentissages, la contradiction est partiellement levée.

Mais pas complètement, à mon sens. Il y a toujours bien deux "ordres" de travail qui ne peuvent que coexister difficilement. Et, là comme ailleurs, il nous faut peut-être accepter la contradiction.

Accepter que nos investigations et nos recherches pour mieux "connaître" nos élèves nous fournissent des indicateurs pour un travail dont le ressort se situe ailleurs : dans l’effort pour qu’une liberté émerge, nous résiste, s’empare des moyens pour échapper à l’influence que, de toutes nos forces, nous voulons exercer sur elle.

Philippe MEIRIEU - http://www.meirieu.com/DICTIONNAIRE/connaitre.htm)

Je repense à la petite Anette que j’ai citée comme exemple dans mon article de 1981.

J’avais aidé ses parents à adopter une attitude éducative plus adéquate. Je me souviens d’une colère immense de son père parce qu’elle s’était coupée en prenant en main une lame de rasoir. Jamais il ne lui avait montré comment on prend une lame de rasoir entre ses doigts. Au lieu de cela, il lui avait formellement interdit d’y toucher. La gamine, curieuse, et consciente de briser un interdit, s’était empressée d’y aller voir de plus près !

Devant les impasses éducatives dans lesquelles elle était enfermée, Anita était complètement bloquée dans ses apprentissages. Je me souviens qu’elle apprenait difficilement à lire et à écrire en français, mais qu’à l’insu de ses parents, elle se perfectionnait en espagnol, justement dans un domaine d’apprentissage qui n’était pas investi par ses parents. Cela n’avait aucune importance pour eux qu’elle apprenne l’espagnol, pourtant leur langue maternelle.

Merci Anette, pour tout ce que tu m’as appris.

Michel Simonis
1981 - 2014