Le concept d’ARTE, Ateliers Réflexifs en Tutelle explicitatrice sur l’Ecrit, a été mis au point en 1996-97 et testé au Centre Local de Saint-Etienne, à de nombreuses reprises, dans des classes par des formateurs IUFM et des P.E. stagiaires. Les séances d’ARTE, qui se déroulent sur une durée de 15 à 30 minutes, ont pour but d’aider les élèves à construire le fonctionnement du système de l’écrit par les interactions entre pairs et la tutelle du maître.
Ces ateliers entrent bien dans la logique des Instructions Officielles pour le cycle II et sont légitimes dès la G.S. Certains enfants de M.S. dans des classes à plusieurs niveaux, en particulier, peuvent éventuellement y participer ponctuellement.
Ecrire : tout enfant doit découvrir ce qu’est l’écriture, à quoi elle sert et surtout la façon dont elle renvoie au langage (liaison constante entre l’oral et l’écrit) et explorer le fonctionnement de l’écriture alphabétique.
Ces ateliers permettent des évaluations diagnostiques fines des enfants. Ainsi, peut-on voir à un instant t comment l’écrit est conçu par eux, déterminer le stade précis où ils en sont dans leur représentation du système de l’écrit...
Mais au delà de cet aspect évaluatif, un réel travail d’apprentissage se construit. Ce qui institue ces dispositifs comme ateliers d’apprentissage, c’est :
• d’abord, le travail en tutelle avec l’adulte, le travail d’explicitation mené avec lui,
• ensuite la collaboration avec des pairs pour résoudre un problème complexe, une sorte de situation problème.
Les ARTE font ainsi avancer les enfants et c’est utile. Il existe en effet une corrélation de fait : plus l’enfant a une conception évoluée de l’écrit, plus vite il apprendra à lire en C.P. ; c’est réglé avant Noël à 90%, pourrait-on dire, si les représentations sont pertinentes à l’arrivée en Cours Préparatoire. D’où l’intérêt de travailler ces représentations et de se poser des questions ensemble sur le fonctionnement de l’écrit, de réfléchir sur la manière d’apprendre à lire-écrire...
L’apprentissage de la lecture est par définition une activité métalinguistique.
Voir les travaux d’Emilia Ferreiro
Voir les travaux des Chauveau
Les ARTE s’appuient évidemment sur ces références incontournables en matière d’analyse de l’entrée des enfants dans le système de l’écrit.
Un dispositif type
Le travail s’organise dans un atelier de 3 à 5 élèves pour permettre de bonnes interactions et un suivi efficace ; quatre participants constituent un groupe idéal. L’enseignant fournit aux élèves une grande feuille et un outil scripteur — i.e. un crayon) — communs pour un travail d’équipe. Une gomme peut être également utile.
Le maître tuteur propose d’écrire, en lettres capitales ou autrement, une petite liste de mots, voire de petites phrases : le premier mot proposé doit être facile, supposé connu dans l’horizon de référence et dans le capital mots, dans le but de rassurer les petits et leur inspirer confiance. Dans ce même esprit, la première fois, on peut inviter les enfants à écrire leurs prénoms en haut de la feuille commune. Parfois, les mots travaillés peuvent être proposés par les enfants sous forme de défi qu’on se donne ou imposés par la nécessité , le contexte, les projets induits par la vie de la classe.
Les règles du « jeu » sont ainsi définies :
• il s’agit d’écrire chacun — à tour de rôle — une ou plusieurs « lettres » du mot, voire un mot pour les phrases ;
• une concertation sur les éléments à écrire est possible, utile pour se mettre d’accord. En cas de défaut d’unanimité, la règle de la majorité prévaudra ;
• il faut justifier, expliquer, convaincre, dire pourquoi...
Des aides matérielles, des outils en quelque sorte, peuvent être fournies par le maître, surtout avec des plus jeunes, et dans une optique de différenciation selon les groupes :
• alphabet modèle de référence (2-3 graphies), abécédaire,
• liste de mots, des prénoms de la classe, etc.
• lettres mobiles pour éviter les difficultés du geste graphique, permettre des tâtonnements. On peut utiliser des lettres capitales ou non ;
• le recours à un clavier d’ordinateur ou minitel est bien sûr possible.
La classe avec tous ses repères, ressources constitue le lieu idéal pour ces activités d’Arte, mais on peut imaginer de travailler délibérément ailleurs, à l’extérieur, en BCD...
Ensuite, une relecture par les enfants de leurs productions est souvent très utile, parce qu’elle peut engendrer des conflits, de nouveaux problèmes. A la fin de l’atelier, l’enseignant écrit devant les élèves les mots de la liste correctement orthographiés. Un moment de confrontation, de comparaison avec ce qu’ils ont pu écrire est souhaitable : cette phase permet de faire ressortir et de valider ce qui est juste dans leurs essais et leurs raisonnements. De même, les problèmes complexes posés par le code du français, le plurisystème graphique surgissent alors (graphèmes multiples pour un même phonème : au / o/ ô ou è /ai /ei ... digrammes comme ch, au, etc.). C’est le moment de faire émerger des aspects du code dont les enfants n’ont pas encore pris conscience ou sur lesquels ils ne sont pas au clair.
Des traces sont à garder bien sûr : les productions des élèves, les notes prises par l’enseignant au fur et à mesure. Elles permettront une analyse précise a posteriori des résultats comme des interactions sur le plan de la verbalisation et de la justification.
On voit donc qu’on est typiquement dans une activité de type métalinguistique, même si, bien évidemment, les éléments manipulés par les enfants restent souvent partiels ou rudimentaires.
Le moment opportun
3ème maternelle et 1ère ap., compte tenu de :
• la curiosité des jeunes enfants à l’égard de la langue écrite, de leurs capacités attestées à réféchir sur elle,
• l’importance de la présence des écrits autour d’eux, dans les sociétés urbaines modernes,
• vu le travail déjà fait dans la plupart des maternelles, chez les moyens et même chez les petits sur les prénoms, les goûters etc.
le travail des ARTE est clairement légitime et profitable aux enfants de 3ème maternelle, voire à certains élèves dès la 2ème maternelle.
Pour la 1ère ap., des séances de ce type en début d’année ne peuvent que faire avancer les élèves et permettre de régler des difficultés résiduelles chez certains. Des moments de tutelle rapprochée permettent ainsi de débloquer certaines situations à la différence du travail en grand groupe, en classe entière.
Souplesse et rythme : un travail occasionnel n’est pas satisfaisant ; il est donc besoin de reproduire ces ateliers et de dégager ainsi du temps pour cela. Une continuité régulière semble nécessaire, à adapter à la réalité de sa classe : on peut ainsi penser qu’une fois par mois minimum, soit 9 séances dans l’année, constituerait un dispositif efficace.
Cela suppose donc que la classe soit organisée pour permettre au maître d’être "tranquille" pendant qu’il travaille dans l’ARTE, donc que les autres élèves soient occupés à des activités n’impliquant pas sa présence.
Les compétences travaillées et construites
En matière de lecture-écriture, on peut souligner la prise de conscience chez les plus petits, en3ème maternelle par exemple, de :
• la correspondance entre le code écrit et le code oral,
• le sens de l’écriture de gauche à droite,
• l’ordre des lettres,
• la combinaison des lettres dans les graphèmes complexes (digrammes),
• la longueur relative des mots n’est pas proportionnelle aux signifiés ; remise en question d’un certain "cratylisme" donc (lien entre le référent et le signe : par exemple, train / locomotive)...
• la permanence du code et la stabilité de l’écrit,
• la correspondance des types d’écriture (capitales et lettres d’imprimerie, cursives ),
• la segmentation des mots (au plan des phrases) etc.
Explicitation et interactions
L’intérêt de la coopération et des confrontations entre pairs ne semble plus à démontrer. Les conflits susceptibles de naître face à des désaccords sur une graphie, le recours à l’argumentation pour défendre son point de vue, le justifier... favorisent l’explicitation essentielle aux ARTE.
Un consensus semble se faire sur l’aspect social de la construction des savoirs ; en tout cas, les échanges et les conflits favorisent souvent une remise en question des représentations trop simples... On sait l’importance de la liquidation de ces visions simplistes ou réductrices qui peuvent bloquer.
Apprendre, c’est construire le savoir en interaction.
Une mise en commun des compétences diverses naît d’un petit groupe qui fonctionne bien ; une équipe arrive plus facilement à la résolution de problèmes complexes qu’un individu isolé. Cela implique quand même l’acceptation de travailler ensemble, le respect de certaines règles... Le maître doit donc veiller à régler les problèmes affectifs, relationnels qui pourraient parasiter le groupe. De même, le problème à résoudre doit être résistant sinon difficile : insoluble pour un individu isolé ? Le groupe se renforce alors face à la difficulté : les trouvailles des uns encouragent tout le groupe ; des relances mutuelles s’opèrent.
La tutelle magistrale
• Ici encore, le couple adulte (expert) - enfant(s) est essentiel ; l’étayage et la coopération permise par la présence active de l’adulte font avancer. Cf. Vygostky et la Zone Proximale de Développement :
Toute fonction psychique supérieure (par exemple le lire-écrire) apparaît deux fois dans le développement de l’enfant ; d’abord, elle existe sur un plan social et interpersonnel puis sur un plan psychologique et personnel.
L’acquisition de la lecture se réalise ainsi d’abord à deux ou à plusieurs (groupe d’enfants) avec un adulte avant de devenir une pratique autonome :
Ce que l’enfant sait faire aujourd’hui en collaboration, il saura le faire tout seul demain.
• Un climat de confiance est un préalable, il convient donc de dédramatiser. Plus généralement, le statut et la vision de l’erreur conditionnent le bon fonctionnement. Les élèves doivent s’essayer à écrire, cela veut dire qu’ils assument avec le maître une prise
de risques réfléchie, adoptent tous une bonne posture... Le maître doit bien veiller à enrôler au départ.
• Un effacement relatif de l’adulte devant les élèves est nécessaire, il ne s’agit pas pour lui de faire une leçon mais de susciter, favoriser, cadrer les interactions, les réflexions sur le code, reformuler les propos... Bien sûr, des réponses doivent être apportées aux questions des enfants, il s’agit d’accepter les propositions que l’on sait erronées lorque les enfants sont d’accord pour les considérer comme justes.
• Le maître est aussi celui qui décide du moment opportun pour arrêter le travail.
Le maître est encore un expert à qui incombe le choix pertinent des mots, des phrases ; il doit bien sûr prévoir un planning prévisionnel annuel, trimestriel, car il reste l’organisateur des apprentissages. Il peut tenir compte de plusieurs motivations dans les choix des éléments :
Il reste également le charme de se mesurer à des mots très compliqués, sans être soumis à une "programmation" très rigoureuse. De toute manière, l’essentiel est de fournir aux élèves l’occasion de comprendre comment fonctionne le système ! Tout mot existant à l’oral, même le plus complexe, peut être écrit, même si, bien sûr, la transcription graphique est approximative.
L’objectif central est de permettre aux enfants de se construire un système phonographique.