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L’intelligence ouverte

Empêcher les enfants de bouger est une manière de brider le développement de leur intelligence. A combien d’heures d’immobilité sont encore contraint aujourd’hui la plupart des enfants scolarisés dans le monde ? [1] Il n’est pas sûr que le remplacement du cours magistral qu’on écoute en silence par l’interaction tout aussi immobile avec le smartphone, la vidéo ou la télé soit un progrès ou un remède.

Dans "L’homme neuronal", J.P. CHANGEUX [2] reprend à son compte une expression de J.C. YOUNG pour qui "le cerveau "est" (ou contient) une "représentation" du monde. Celle-ci s’est construite au fil des générations.

Il est intéressant de considérer cette analogie entre “contenir” et “être”. C’est par sa structure même que chaque cerveau humain, non seulement contient mais est lui-même une représentation du monde. Celle-ci restera floue tant qu’il n’y a pas d’interaction avec ce qui l’entoure. S’inscriront alors dans le néo-cortex les représentations sensorielles et motrices de ce monde où il va vivre, au fur et à mesure qu’elles se clarifient par interaction.

La netteté qu’apportera le cerveau à son image du monde sera proportionnelle au degré avec lequel le petit enfant dès la naissance procèdera à des échanges multi-sensoriel avec la terre. Plus il y a de phénomènes et d’événements auxquels nous sommes confrontés, plus grande est notre capacité à procéder à des échanges plus complexes, plus l’intelligence est ouverte. Une intelligence ouverte sera à même de structurer, de mettre en modèle, de "cartographier" une connaissance issue d’une expérience accrue.

Plus nous apprenons, plus nous pouvons apprendre. Ce lieu commun prend toute sa signification quand on pense au développement inégal des intelligences enfantines en fonction de la quantité de stimulation qu’elles reçoivent. Celle-ci est relative, entre autre, au degré de sécurité ou d’anxiété du milieu familial et social.(NOTE*)
Il nous faut pourvoir à un échange multidimensionnel avec la terre où nous vivons, de façon à ce qu’une structure concrète suffisante puisse se construire. C’est à partir de celle-ci que les abstractions pourront véritablement naître” écrit Gregory Bateson. [3]

Dans un chapitre intitulé "Ce que tout élève sait", il montre que l’évolution procèderait par un mécanisme “stochastique”, un processus dans lequel fonctionne une aptitude à créer un contexte significatif pour un événement qui se produit au hasard et qui devient ainsi de l’information nouvelle. S’il n’y a pas de nouveauté, il n’y a pas d’apprentissage. Les stimulations provoquent dans l’organisme des événements au hasard qui prendront une signification et deviendront de l’information pour cet organisme chaque fois que celui-ci sera capable de "contextualiser" l’événement, c’est-à-dire de le "penser", de l’inclure dans sa "représentation du monde”.

Selon J. Ch. Pearce [4] , ”Toute l’énigme de l’évolution et l’immense différence entre l’homme et l’animal sont dues à la méthode d’articulation ou de clarification du POTENTIEL contenu dans le système de l’ancien cerveau (reptilien et limbique)“ (PEARCE, p. 20). Ce potentiel doit être structuré en tant que véritable connaissance exploitable dans le système du cerveau nouveau (néo-cortex). Ce transfert du potentiel du cerveau ancien vers le cerveau nouveau se déroule par l’intermédiaire des MOUVEMENTS CORPORELS MUSCULAIRES de l’enfant.

Nous y voilà !

J. P. CHANGEUX montrera que chaque échange physique avec le monde provoque en outre un modelage de la topographie du réseau nerveux.

Empêcher les enfants de bouger est une manière de brider le développement de leur intelligence. A combien d’heures d’immobilité sont encore contraint aujourd’hui la plupart des enfants scolarisés dans le monde ? (*) Il n’est pas sûr que le remplacement du cours magistral qu’on écoute en silence par l’interaction tout aussi immobile avec le smartphone, la vidéo ou la télé soit un progrès ou un remède.

Il me parait, comme à beaucoup d’éducateurs, que les habitudes vers lesquelles on court de plus en plus avec la digitalisation demandent qu’on développe une compensation physique par des propositions à l’initiative du système scolaire et éducatif.
On a vu avec CHANGEUX, qu’il s’agit d’un modèle dans deux sens du terme : une structure nerveuse et en même temps, une représentation mentale ("l’identité entre états mentaux et états physiologiques ou physico-chimiques du cerveau s’impose en toute légitimité" (J.H. ZEMS, cité par CHANGEUX, p. 364).

Toute pensée naît de ce qui est concret et les modèles cérébraux RESULTENT DES MOUVEMENTS CORPORELS de réaction aux choses et aux événements.

Chaque contact physique qu’établit l’enfant (tomber = faire boum) (bâton = pas bon pour manger) établit un modelage correspondant ou un apprentissage dans son nouveau cerveau. A condition, ajouterait BATESON, qu’il soit l’objet d’un codage, d’une organisation.

Jérôme Brunner détaille les différentes formes de l’information en retour (feedback) dans “L’organisation des premiers savoirs faire” [5], Il est impossible d’imaginer , dit-il, même au niveau le plus élémentaire, comme par exemple dans la compensation de posture chez le bébé, qu’une action orientée soit menée sans un ajustement précédant l’action, une sorte de correction préalable, un feedback prospectif en quelque sorte (je dirais aussi “préventif”), du geste par l’intention, ce qui se fait par une évocation de l’effet recherché.
Un bon exemple est celui du sauteur en longueur qui sait déjà pendant qu’il prend son élan, s’il va mordre sur la planche et même si son saut sera bon ou mauvais. Le joueur de basket qui tire un coup franc sait, avant l’arrivée du ballon dans le panier, s’il a réussi ou non, d’après l’agencement de ses gestes, postures, force déployée, tension musculaire, etc. L’exercice qui consiste à fermer les yeux au moment de lancer le ballon dans le panier, après avoir pris le temps de bien viser, amène parait-il un taux de réussite surprenant. (Cf. l’art du tir à l’arc)

Il serait bon que la pédagogie s’en inspire. Et ce qui me parait évident dans les exercices physiques et les activités sportives, peut être développé aussi dans toutes les activités d’apprentissage. “Voir dans sa tête” avant de faire est le b-a-ba de l’élaboration de solides cartes mentales, car le “faire” est alors une vérification de l’image mentale qu’on a construite. Le feedback permet de modifier la carte ou de la confirmer. C’est un auto-feedback, autrement plus efficace que les évaluations externes. Et plus solide intellectuellement, et plus valorisant, donc plus constitutif de l’estime de soi.
Observer attentivement en pensée, son propre comportement, et prendre conscience de ce que l’on sent, est plus utile que la répétition. Il est faux de croire, dit Moshé FELDENKRAIS, qu’à force de la répéter, une exécution défectueuse finisse par devenir parfaite. C’est pourtant là dessus que sont basés beaucoup d’apprentissages scolaires. [6]


NOTE

On pourrait se pencher sur deux nouvelles questions :
 Pourquoi cette résistance du système scolaire occidental - mais toute la planète en subit l’influence - à faire entrer vraiment une composante corporelle au coeur même des apprentissages ?
 Quelles stratégies mettre en place pour que ça change ?

Quant à la peur de “débrider” les corps, je remarque que tout le travail sur la perception et le sensoriel touche à la question de la distance aux autres, des frontières entre les personnes et du respect des limites…
Comment oser aller en exploration si on craint de ne pouvoir être suffisamment sensible aux limites à ne pas dépasser, d’être capable de les faire respecter, et d’éviter les débordements.

Pour mettre en forme notre esprit, faut-il fermer la porte au corps ?
Impossible de s’en passer, mais il est là, silencieux, immobile, bien droit, comme absent : l’esprit en éveil, le corps en veille. Drôle de façon de faire. Mais il est vrai que le corps, il faut lui apprendre à se discipliner. (C’est comme pour l’expression sur les réseaux sociaux)
Si on le laisse s’exciter, se débrider, il vient contaminer la leçon, lancer le chahut, et les enseignants savent combien il est difficile de reprendre en main une classe qui est partie dans l’excitation débridée.

Il s’agit donc de gérer tout cela habilement.