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Intelligence et scénario

Michel Simonis
réécrit décembre 2014
VOIR L’INTRODUCTION A CET ARTICLE

Je reprends ici des extraits de l’article original paru en 1981.

Mes commentaires actuels (2014) sont en italique.

J’ai mis en grisé ce qui me parait plus s’adresser à des intervenants psy qu’à des enseignants J’aimerais éviter que ceux-ci soient tentés de "jouer au psy" avec leurs élèves).
 Mais je leur fais confiance et je laisse ces passages. 
Les deux tableaux sont peut-être aussi dans ce cas.

Introduction

Beaucoup de psychologues scolaires utilisent la W.I.S.C. [i] comme test d’aptitudes intellectuelles. Outre son aspect psychométrique, ce test présente un intérêt clinique. Il est constitué d’une série de sous-tests homogènes et se prête donc à une analyse en termes d’attitudes face à une tâche spécifique.

Le Docteur Jean Lerminiaux, pédopsychiatre et psychanalyste, a depuis dix ans développé une approche de la W.I.S.C. basée sur les écarts entre les cotes-standards aux différents sous-tests [ii]. Plutôt que de parler d’incapacité chez l’enfant, il soulignera une attitude de refus.

Cette façon de voir la W.I.S.C. était intéressante dans une pratique de psychologie scolaire en enseignement spécialisé. Sauf exception, ce n’est que dans le cadre d’une orientation vers l’enseignement spécialisé que nous utilisions ce test. Dans ce contexte, il était particulièrement intéressant de comprendre pourquoi un enfant était en échec, ou mieux encore comment il s’y prenait pour être en échec. C’était bien plus instructif que de savoir quel QI il avait.

D’ailleurs, ce QI n’avait pas beaucoup de sens, sauf pour classer l’enfant, aux yeux de l’administration, dans un "type" d’enseignement spécialisé. Il est vrai qu’on n’organisait pas tout à fait de la même façon une classe de "déficients mentaux légers" d’une autre destinée à des enfants plus profondément "déficients". Encore que c’était davantage l’évolution de l’enfant qui permettait de choisir sa classe plutôt qu’un QI, que d’ailleurs nous n’avons jamais considéré comme figé. En fait, la loi nous imposait de revoir périodiquement ces QI, preuve que l’administration elle-même les considérait comme évolutifs.

Il n’était pas question d’utiliser cette grille d’analyse dans l’enseignement ordinaire. Mais il est probable que le Docteur Lerminiaux y recourait dans sa pratique pédo-psychiatrique.

***

Un enfant qui ne mange pas ce qu’il a dans son assiette sera vu comme un enfant qui n’a pas envie de manger ou qui refuse de manger. Cette façon (arbitraire) de le voir résulte d’un choix. On aurait pu le voir comme incapable de manger ou d’utiliser des couverts... C’est la grille de lecture qui ponctue et fait donc apparaître cette image-là du réel à l’observateur.

Une cote basse en "information" sera vue comme un manque d’appétit de l’enfant à saisir les informations qui circulent autour de lui, à sa disposition. Les stimulations intellectuelles de l’entourage peuvent être plus ou moins riches, mais l’enfant qui obtient une faible cote en "information" par rapport à sa propre moyenne opère un freinage, un refus ou une fuite, comme si, par exemple, chaque connaissance nouvelle apportait avec elle une menace (du moins, nous choisissons de le décrire ainsi).

Si, par ailleurs, cet enfant a un résultat élevé en "lacunes" (voir ce qui manque dans un dessin), il manifeste un bon sens critique (voir les défauts chez l’autre). C’est le signe d’une prise de distance, soit avec autonomie, soit avec méfiance.

Cela pourrait être une capacité de voir les défauts d’un objet ou d’une situation, mais la grille partira d’une histoire personnelle et relationnelle.

Les résultats obtenus aux sous-tests traduisent le degré de freinage ou d’accélération que l’enfant a imposé à son dynamisme créateur [iii] Dès lors, "étant la cristallisation d’une histoire, les aptitudes sont modifiables et l’investissement sous-jacent qui leur a permis de se développer est lui-même modifiable." [iv]

Il était tentant pour un praticien de l’Analyse Transactionnelle de faire un rapprochement entre cette lecture de la W.I.S.C. et certaines injonctions de scénario [v]. C’est une façon de voir les aptitudes intellectuelles en termes de décisions de survie. Ce rapprochement ouvre des perspectives de redécision.

Il peut indiquer aux éducateurs les Permissions-repères qu’il est utile de donner à l’enfant. Il permet d’être attentif aux bénéfices secondaires et aux résistances : celles de l’enfant à changer de rôle et de statut, celles de son milieu de vie à le voir devenir intelligent (ou à révéler qu’il l’est).

***

Ce qui suit est adéquat dans un contexte thérapeutique (où l’on se permet d’aider la personne à sortir de son scénario de vie si elle le souhaite).

J’en vois aussi l’utilité dans un contexte de rééducation, de prise en charge d’enfants ou d’adolescents en difficulté qui ont besoin d’un suivi institutionnel (On n’est pas loin de la pédagogie institutionnelle).

Voici, pour ouvrir la réflexion et la discussion, ce que donne ce rapprochement (tableau 1, pp. 194-195). Dans la version que je présente ici, je ne reprend pas les Hypothèses en termes d’Injonctions scénariques. Les personnes qui seraient intéressées par lire l’article originel pourraient le trouver en visitant le site de l’IFAT : http://www.ifat.net/revue_aat_index.php

Il ne s’agit bien entendu que d’hypothèses de travail, à vérifier par d’autres techniques ou lors d’un entretien clinique. Ces hypothèses ne seront jamais, rappelons-le, qu’une façon (arbitraire) d’appréhender et de ponctuer la réalité vécue par l’enfant.

D’une manière générale, les six premiers sous-tests, qui sont les sous-tests verbaux, ont un rapport avec la communication et la relation (avec les autres) : ils seraient en liaison avec les injonctions "Ne sens pas" et "Ne sois pas proche", donc en quelque sorte avec "Ne sois pas important aux yeux des autres", tandis que les six derniers sous-tests (appelés de performance) ont un rapport avec l’agir (avec les choses) : ils seraient en liaison avec les injonctions "Ne fais pas" et "Ne sois pas toi-même", donc en quelque sorte avec "Ne sois pas important à tes propres yeux".

Les points forts

Une cote élevée peut être un véritable point fort de l’enfant et nous renseigner sur une Permission scénarique. Elle peut aussi être le résultat d’un redressement : si une voie de croissance normale est barrée, l’enfant va trouver un autre chemin, une déviation.

Un exemple. Pierre fait ses premiers pas. Sa maman a peur, intervient brusquement et crie. L’expérience de marcher devient négative pour Pierre. Si agir est dangereux, il pourra compenser en surinvestissant le domaine verbal. Si les parents de Pierre lui disent alors de se taire parce qu’il est trop bavard, il sera barré même dans le redressement qu’il s’est choisi. Il deviendra passif.

Pour en sortir, Pierre aura besoin successivement :

1) de se libérer de la peur de mal faire : recevoir la Permission de bavarder ;
2) de se libérer de la peur de bien faire : recevoir la Permission d’agir au lieu de bavarder.

Autre conséquence : si Pierre a pu investir et surdévelopper le domaine verbal, ces capacités ne doivent pas être valorisées comme telles, car cela renforcerait sa déviation, son injonction "N’agis pas ». Enfin, en psychothérapie, au moment où Pierre commence à agir réellement, on pourra constater un effondrement passager de ses capacités verbales.

Nous pouvons ainsi envisager une hiérarchie des injonctions et décisions comme des étages superposés. Les redécisions s’enchaînent également les unes aux autres.

***

Cette analyse n’est pas à faire par l’enseignant. Elle est du domaine du psychologue. Celui-ci pourra ainsi accompagner l’enseignant en partageant avec lui, ou avec l’équipe enseignante ses propres hypothèses de compréhension de l’enfant, afin de trouver avec eux des pistes pédagogiques possibles pour l’aider à s’en sortir.

Je considère le rôle du psychologue scolaire comme celui d’un psycho-pédagogue capable de trouver avec les enseignants les moyens de traduire dans l’action pédagogique (incluant la relation) une compréhension de la dynamique personnelle qu’un enfant met en oeuvre dans ses apprentissages comme dans ses comportements à l’école.

Il était autrement profitable de donner cette lecture de la Wisc parallèlement à un profil chiffré de sous-tests, peu parlant, et encore moins à un QI, sans autre signification qu’administrative et de surcroît souvent nocif pour l’image de la personne et de son entourage.

Voici d’autres exemples.

Un déficit dans le respect des règles peut être redressé dans un conformisme excessif où les règles deviennent absolues et inflexibles (ce qui peut donner une cote élevée aux "chiffres" de la W.I.S.C.). Dans ce cas, l’enfant a besoin de recevoir :

1) dans un premier temps, la Permission de prendre du recul par rapport aux règles, de les nuancer, de s’en affranchir, et

2) dans un second temps, la Permission de respecter les règles (sans en être l’esclave).

Une cote élevée en "lacunes" peut signifier une hypervigilance, une grande habileté à juger une situation sociale et à la manipuler chez celui qui ressent le monde comme présentant du danger.

La décision sous-jacente peut être "alerte vigilante" ou "exploration sans répit".

Une cote élevée en "vocabulaire" ou en "information" peut signifier une fuite dans des connaissances intellectuelles comme armement défensif. L’enfant se protège de certaines menaces affectives en décidant d’assimiler goulûment toutes les connaissances possibles.

Ainsi donc les écarts à la moyenne des cotes de la W.I.S.C. mesurent l’intensité des injonctions, des Permissions et des impératifs [vi], et la dynamique des écarts entre les cotes donne un ensemble d’hypothèses scénariques.

L’exemple d’Annette

Annette est une fille de 9 ans progresse très lentement en français (niveau de 2ème année) tout en restant bloquée en calcul (elle n’a toujours pas acquis la notion de conservation des quantités, elle ne "voit" pas que 4, c’est plus que 3). Lors de la passation de la W.I.S.C., elle n’écoute pas les questions et répond très vite n’importe quoi avec anxiété. Au test des "chiffres", elle tente de tricher. Son anxiété redouble quand elle doit répéter les chiffres à l’envers.

Le tableau des ses résultats, avec une interprétation en terme de scénario, fait apparaître des données convergentes avec ce que j’ai appris de la dynamique familiale d’Annette par plusieurs entretiens avec sa maman.

Les deux cotes extrêmes se renforcent mutuellement .. "Ne compte que sur les propres forces" (impératif) et "Méfie-toi des autres" (injonction) pour se cumuler dans une sorte de double contrainte paradoxale "Sois débrouillarde pour m’aider et rester près de moi". Il s’agit vraisemblablement d’une décision scénarique. Celle-ci ne peut qu’entraîner des conflits entre Annette et sa mère.

En guidance, Annette a reçu la Permission d’aller à son rythme, d’apprendre quand elle le déciderait et en y prenant du plaisir.[vii] Elle a été valorisée comme responsable d’elle-même et capable de respecter les règles. En psychothérapie de groupe, elle a souvent joué à enseigner le calcul aux autres (besoin de normes fiables à respecter). Plusieurs fois, elle a été confrontée sur sa difficulté à tenir parole. Son problème de fiabilité (être fiable et faire confiance) est un axe important de sa psychothérapie.

Conclusion

Quand un examen psychologique comporte une évaluation intellectuelle de type W.I.S.C., ces données peuvent être utilisées de façon dynamique. Elles sont une source d’hypothèses cliniques. Elles permettent une approche du scénario de l’enfant et de sa personnalité. Etayées par d’autres sources projectives, elle ouvre des pistes aux rééducateurs et psychothérapeutes pour libérer des blocages et pallier à des dysfonctionnements intellectuels et affectifs.

Elles permettent enfin de conseiller parents et enseignants. Chacun peut alors porter un autre regard sur la faiblesse intellectuelle d’un enfant : celle-ci n’est plus un carcan. C’est un symptôme, une porte que l’on peut ouvrir. et on allie Puissance, Protection et Permission.

NOTES ET REFERENCES

Les notes 6, 7 et 8 du texte original se réfèrent aux tableaux complets.
La note 6 concerne l’s hypothèses scénariques du sous-test "Information".
La note 7, le sous-test "Arithmétique".
La note 8, l’"Arrangement d’images".

  1. Pour que l’enfant puisse un jour s’intéresser au Chili, loin de lui, Il faut qu’iI se soit d’abord pleinement vécu comme centre du monde : "C’est parce que j’ai faim qu’il est l’heure de mon biberon", "C’est l’été parce que j’ai chaud". Après quoi, il acceptera un jour que les choses existent et soient fixées en dehors de lui : l’heure, les saisons, la géographie ...
  1. Entrer dans la logique du calcul, c’est accepter de se laisser coincer dans un raisonnement auquel il n’y a pas d’esquive possible, c’est accepter d’être dominé par une Loi et donc de perdre sa toute-puissance. Cette soumission se fera mal si elle est vécue comme dangereuse : si le père (réel ou fantasmé) est menaçant, ne pas accepter sa Loi est un bon réflexe de survie. Ne pas réussir en calcul peut ainsi être le résultat d’une décision salutaire. Certains blocages en calcul peuvent donc faire l’objet d’une redécision. Et la rééducation sans redécision est souvent vouée à l’échec.
  1. JAOUl, G., La treizième injonction. ln : A.A.T., IV, 14, pp. 74-75.

[i] 1. W.I.S.C. : forme pour enfants de l’échelle d’aptitudes intellectuelles de D. Wechsler. Cfr. WECHSLER, D., La mesure de /’Intelligence de J’adulte, Paris, P.U.F., 1956.

[ii] 2. Les résultats obtenus à chaque sous-test sont transformés en cotes-standards. La cote 10 correspond à la performance moyenne des enfants du même âge. Ces cotes sont donc comparables d’un sous-test à l’autre.

[iii] 3. Cfr. MAYMAN, M., SCHAFER, R., et RAPAPORT, D., : Interprétation de l’échelle d’intelligence de Wechsler - Bellevue dans l’évaluation de la personnalité. In : H. et L. Anderson (éd.), Manuel des techniques projectives en psychologie clinique, Paris, Ed. Universitaires, 1965, pp. 573-608.

[iv] 4. LERMINAUX, J., notes d’atelier (non publiées). Voici un exemple de cette lecture de la W.I.S.C. :

Didier (13 ans, 5 mois) obtient, pour un Q.I. verbal de 84 et un Q.I. performances de 106, les cotes suivantes, échelonnées de 4 à 12 (cotes standards) :

Sous-tests verbaux
Similitudes 12
Compréhension 10
Arithmétique 7
Chiffres 6
Information 5
Vocabulaire 4

Sous-tests performance
Lacunes 12
Assemblage d’objets 12
Kohs 10
Code 10
Arrangement d’images 9

La tension est maximale entre "vocabulaire" et "similitudes" ce qui peut signifier peu de contact avec l’extérieur et action intériorisée (Joue tout seul dans son coin).

Commentaires :

  1. Je ne suis pas en bonne relation (lnf. -, Voc. -), je critique (Lacunes +) mais je m’engage (Simil. +). Cependant, cet engagement s’inscrit difficilement dans la durée (Arrang. d’images < Simil. et Assembl.).
  2. Je ressens le monde comme dangereux : j’al des difficultés à accepter les règles (Arithm.-) et les consignes d’une personne (Chiffres -), d’où je m’oppose (Lacunes +).
  3. Donc, lorsque je m’engage, je ne peux le faire qu’en dehors du réel et sans contact avec les autres, c’est-à-dire d’une manière inadéquate. Mon engagement dans l’action ne peut être vrai. C’est une compensation.

Conséquences éducatives :

1) permettre à Didier d’exprimer l’émotion qui l’empêche d’entrer en contact et l’accepter dans cette émotion ;
2) le stimuler à avoir des contacts sociaux et à accepter les règles ;
3) ne pas s’occuper des compensations (par exemple, ses critiques ou ses activités solitaires).

Note :
Effectivement, Didier est un enfant qui vole, passe à l’acte, enfreint les règles et n’a pas de contacts sociaux.

[v] 5. Scénario : y compris le concept de scénario culturel, les Injonctions pouvant tout aussi bien provenir du milieu social que de la famille. Cfr. BARNES, G., T.A. Aftor Eric Berne, 1977, pp. 23-28.

[vi] Note 9. du texte. WOOLLAMS, S., et BROWN, M., TA, 1979, :
Permission Matrix (p. 161-162) et :
Composite Decision Scale (p. 159).

[vii] Note 10. du texte. La consigne est peut-être dans ce cas-ci une "prescription du symptôme", Annette étant habituellement contrariante et oppositionnelle.