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VIVRE EN MARGE..., vivre dans la marge ?

A l’heure où la vie sociale s’organise de plus en plus sur la base des connaissances acquises et des savoirs de chacun, il devient urgent qu’une identité en termes de compétences soit reconnue à tous.

(Cela ne commence-t-il pas  par la marge des cahiers d’école ?)

"Nous vivons aujourd’hui une de ces époques charnières où l’ordre ancien des représentations et des savoirs bascule pour faire place à des imaginaires, à des modes de connaissance et à des styles de régulation sociale encore mal stabilisés. Nous assistions à un de ces rares moments où, à partir d’une nouvelle configuration technique, c’est à dire d’un nouveau rapport au cosmos, s’invente un nouveau style d’humanité.

Mais qu’en sera-t-il, dans cette ère nouvelle, des idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité ?"

(Michel Authier et Pierre Levy, les arbres de connaissances, La découverte/Essais)

1. Chacun sait quelque chose.

A l’heure où la vie sociale s’organise de plus en plus sur la base des connaissances acquises et des savoirs de chacun, il devient urgent qu’une identité en termes de compétences soit reconnue à tous.

Il y eut, pour s’identifier dans une communauté, le tatouage sur le corps, puis le nom, puis l’adresse sur un territoire, les signes extérieurs de richesse dans l’espace économique, les diplômes et titres requis dans l’espace du savoir.

Or chacun détient des tas de savoirs non reconnus, non évalués, non certifiés.

"De tous les savoirs de vie, seule une infime partie s’accompagne d’une reconnaissance officielle par titres et diplômes. Mais une infinité de connaissances, qui peuvent toutes posséder à un moment où à un autre, ici ou là, leur pertinence économique, ludique, sociale, scientifique, etc, circulent sous le manteau, poussent en silence, invisibles, agissantes, prêtes à servir. N’importe quelle parcelle de vie, avec l’expérience qui l’accompagne, peut receler un savoir utile, salvateur. tout être humain sait quelque chose dans la mesure même où il a vécu. (...) Le jugement d’ignorance, posé globalement sur un individu, n’est pas seulement faux, c’est une source de mépris, d’humiliation et de violence." (M. Authier et P. Levy, cités plus haut, p. 89)

La position que chacun occupe dans la société est influencée par l’idée qu’il se fait de lui-même et beaucoup sont handicapés dans la trajectoire de leur vie au sein du groupe social par une idée d’eux-même fortement marquée par l’image de non-compétence qu’ils ont reçue ou qu’ils se sont construite à l’école.

Le système d’accès au savoir est facteur de pertes d’identité sociale.

2. L’estime de soi.

La perte des repères sociaux, (dans le présent, dans l’espace social), la perte d’identité (la lignée est défectueuse, avec les manques ou trop chargée), la perte de projets personnel, familial ou social ont une relation directe avec l’estime de soi., l’image qu’on a de soi, de sa valeur.

Cette image de soi, qui prend place dans un lignage (d’où je viens), un projet (où je vais) et une appartenance sociale (de quel groupe je me sens solidaire), est sous l’influence des problèmes structurels. Ceux-ci peuvent la saper, par coup de butoirs, progressivement. Leur accumulation mine l’identité et l’estime de soi : chômage, perte de revenu, tissu urbain qui se déglingue, environnement qui se dégrade, mésentente familiale, conjugale ou de voisinage, accentuation des discriminations et des écarts économiques entre les uns et les autres, angoisse devant la multiplicité des problèmes de vie ou de survie, à l’échelle locale, régionale, nationale ou internationale, perte de confiance dans les structures et ses "notables"...

En définitive, nous vivons peut-être à petite échelle ce que vivent à grande échelle les pays de l’Est (dont les structures se sont effondrées, laissant les gens très désorientés, démunis devant le vide de structures et de valeurs), un effritement des normes, valeurs et pratiques traditionnelles. L’ancien "paradigme", les anciennes façons d’agir et de penser sont en train de prendre un coup de vieux, de s’effilocher, parce qu’inadaptées aux nouvelles données de la vie sociale, économique et culturelle.

Face à cette perte de crédit des anciens modèles et des anciennes façon de vivre, de penser ou de faire (de se soigner, d’acheter, de se nourrir, d’entrer en relation, de créer un couple ou d’élever ses enfants..., diverses réactions peuvent être observées.
 les uns ne perçoivent pas ce qui change.
 d’autres, angoissés, se crispent dans leurs modes de pensée et d’agir. Ils ne savent pas que pour rester debout sur un bateau qui tangue, il faut tout le temps changer de position et de tonus, ni que pour garder le cap, il faut sans cesse tourner la barre...
 d’autres, les mieux "armés" socialement, armés de l’intérieur dois-je préciser, perçoivent les nouveautés et s’ouvrent à des changements dans leur façon de gérer leur santé, de se nourrir, de penser...
 d’autres enfin, plus démunis, se retrouvent paumés devant la perte des anciens repères. Ils ne savent plus qui croire ni à quelles valeurs se raccrocher. Submergés d’infos télévisuelles, d’images hétéroclites émiettées et discordantes, ils évoluent en zig-zag, réagissent au coup par coup,

Ceux-là, s’ils ne sont pas soutenus, s’ils sont, en outre, confronté à des crises, à des événements structurels, se retrouveront en voie de paupérisation, de marginalisation et/ou d’exclusion sociale par leurs difficultés à faire face aux problèmes qui les submergent et auxquels ils ne comprennent plus grand chose.

"C’est fini, je décroche". "Je n’y comprends plus rien, je ne maîtrise plus les événements qui me poussent, je laisse tomber."

Ce n’est pas dit avec des mots - et souvent les mots, justement, manquent -, c’est ressenti dans le corps, dans le ventre, dans le dos qui n’en peut plus, dans les bras devenus si lourds, dans la poitrine qui se serre, dans la tête qu’on sent prête à éclater...

3. La matrice de l’autonomie

Prenons un triangle dont les 3 pôles seraient 1) la sécurité de base, (normes et valeurs, racines culturelles et pensée cohérente), 2) les potentialités d’échange relationnel avec l’environnement, 3) l’énergie disponible pour explorer ces potentialités.

Cette matrice se construit pendant l’enfance par un échange entre une impulsion intérieure qui porte tout naturellement l’enfant à grandir, à découvrir, à apprendre et à y prendre plaisir, et un milieu extérieur offrant à l’enfant de la sécurité, de la disponibilité et des occaxsions d’inter-action avec l’environnement, et enfin des sources de plaisir et d’énergie.
A l’âge adulte, les humains doivent continuer à trouver dans le millieu extérieur ces trois sources.

L’adulte, en général, (à part quelque saint ermite) ne peut survivre s’il est totalement privé
1) d’autorité extérieure,
2) d’amour, d’affection ou d’estime dispensée par d’autres autour de lui et
3) de dynamisme insufflé par un groupe d’appartenance, une équipe, un réseau de solidarité, par des projets globaux partagés avec d’autres.

Mais s’il n’y a que cela, sans une structure intérieure d’où émane pour lui chacun des trois pôle, il ne tiendra pas debout.

C’est là que prennent place l’autodiscipline et l’estime de soi.

4 Et l’école alors ?

Face à ces constats, que doit faire l’école ?
• Donner des outils - les savoirs faire : savoir lire, écrire, calculer- ? Sûrement. Mais ce n’est certes pas suffisant. Et l’on songe sérieusement maintenant de donner aussi à l’enfant les moyens de se donner des outils, de se les approprier et/ou de se les construire.
L’école ne fait pas encore vraiment cela.

• Mais aussi donner à l’enfant des structures internes : l’habituer à des règles, à des régularités, des rythmes. Cela l’école le fait, mais ne se préoccupe pas tellement de faire en sorte que les enfants se construisent la nécessité intérieure de respecter cela, accèdent à l’auto-discipline, à l’autonomie de les considérer comme naturels, allant de soi. Ou si elle s’en préoccupe, elle est souvent démunie quant aux moyens d’y arriver.

L’auto-discipline est donc un remède.
L’auto-discipline est la capacité à accepter et à se donner des règles de vie qui "coulent de source", vont de soi, plutôt que de les subir par contrainte extérieures.
Or cette auto-discipline est une question d’image de soi, de valorisation, d’estime de soi. Donc aussi d’identité.

• L’école doit aussi construire l’estime de soi de chaque enfant, lui assurer une aide, un soutien inconditionnel, une estime inconditionnelle, un respect total de sa personne (même quand on met en question ses comportements), surtout s’il ne peut trouver cela chez lui.

• Elle doit lui permettre de SE donner ses propres projets, dès le départ, dès l’école fondamentale, sans attendre : les "plus tard, tu pourras faire ce que tu veux, maintenant tu obéis" créent des êtres soumis, passifs et irresponsables ou rebelles et anarchiques, de toute façon incapables de discuter, d’argumenter, donc de "résister" quand les autres, ou les événements leur mènent une vie de chien...

• 

L’école a enfin à construire des êtres autonomes, c’est à dire non seulement capables d’autodiscipline et d’estime de soi, mais aussi capables de se plier aux exigences (fonctionnelles) d’un groupe et d’estimer les autres.
Et articuler l’estime et le respect de l’autre avec l’estime et le respect de soi-même, n’est ce pas un des fondements de l’éducation ?

Michel Simonis
Février 1993